Vérité en deçà de la ligne de démarcation, erreur au-delà
Dans les tout premiers jours des bombardements franco-anglo-américains sur la Libye, les partisans du colonel Kadhafi ont tenté de convaincre l’opinion publique internationale que lesdits bombardements causaient des dégâts matériels et humains importants au sein de la population civile. Pour cela, ils ont entraîné les représentants des médias étrangers dans une maison qu’ils affirmaient avoir été visée par des tirs aériens. Mais l’opération a été un «bide» complet: les journalistes, ne croyant pas à la version des faits qui leur était présentée, ont examiné minutieusement la forme des cratères dans le sol et la manière dont les murs avaient été criblés de balles, notant au passage l’absence non seulement de cadavres mais aussi de toute trace de sang. Ils en ont conclu que la maison en question avait été la cible de tirs de mortiers et de kalachnikov alors qu’elle était vide, et que les explications officielles étaient des bobards.
On peut en tirer quelques réflexions – au-delà de la constatation que les populations locales ne sont vraiment pas très malignes dans leur manière de mentir.
Le plus surprenant pour le téléspectateur moyen était évidemment de voir, pour une fois, des journalistes se donner tant de peine pour découvrir la vérité, effort dont ces mêmes correspondants de presse s’abstiennent prudemment lorsqu’ils recueillent les «témoignages bouleversants» de la partie adverse: les insurgés anti-Kadhafi n’ont pas besoin de créer des mises en scènes pour accuser l’armée régulière libyenne des pires exactions, leurs propos étant de toute manière relayés sans une once de curiosité par un foisonnement de micros et de caméras. Mieux: les reporters s’autorisent quelques (légers) travestissements pour rendre la lutte de ces gens plus sympathique au nord de la Méditerranée, les hurlements sauvages de «allahou akbar!» étant traduits d’une voix calme et grave par «Dieu est avec nous!»
On constate ainsi de la part des observateurs occidentaux – mais ce n’est pas une surprise – une présomption de vérité chez les partisans de la révolution et de mensonge chez les séides du régime en place. Peut-être est-ce là un réflexe de soixante-huitards attardés auxquels l’idée d’ordre et d’autorité donne encore des boutons de fièvre. Mais on peut aussi expliquer cette partialité par l’habitude bien humaine de cirer les pompes de ceux qui semblent sur le point de gagner et de manifester une hostilité ostensible à l’égard des futurs perdants.
En l’occurrence, il n’y a pas de grand risque: le colonel socialiste n’en a certainement plus pour longtemps à gouverner, sinon à vivre. Mort ou vif, il sera jugé par un tribunal international où une procureuse à tête de mérou le condamnera pour des crimes contre l’humanité dont la notoriété tiendra lieu de preuve suffisante.
Mais imaginons un instant, juste pour le plaisir de l’exercice intellectuel, qu’un tyran comme Kadhafi, contre toute attente, gagne la guerre contre les forces du bien, prenne le contrôle des tribunaux chargés d’écrire l’histoire, nomme ses propres autorités morales. Les journalistes qui auraient cru bien faire en dénonçant ses mensonges, par exemple à propos de la fameuse maison attaquée, se trouveraient soudain en état d’avoir minimisé grossièrement des crimes contre l’humanité, ce qui leur vaudrait assurément de passer un mauvais quart d’heure. Ils auraient alors tout loisir de méditer – mais un peu tard – sur les dangers de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, sur les désagréments d’une vérité historique imposée par des tribunaux, ainsi que sur la fragilité et la fugacité de la distinction entre «politiquement correct» et «politiquement incorrect».
Mais tout cela n’est qu’imagination et ces réflexions ne les atteindront pas.
Pollux
On peut en tirer quelques réflexions – au-delà de la constatation que les populations locales ne sont vraiment pas très malignes dans leur manière de mentir.
Le plus surprenant pour le téléspectateur moyen était évidemment de voir, pour une fois, des journalistes se donner tant de peine pour découvrir la vérité, effort dont ces mêmes correspondants de presse s’abstiennent prudemment lorsqu’ils recueillent les «témoignages bouleversants» de la partie adverse: les insurgés anti-Kadhafi n’ont pas besoin de créer des mises en scènes pour accuser l’armée régulière libyenne des pires exactions, leurs propos étant de toute manière relayés sans une once de curiosité par un foisonnement de micros et de caméras. Mieux: les reporters s’autorisent quelques (légers) travestissements pour rendre la lutte de ces gens plus sympathique au nord de la Méditerranée, les hurlements sauvages de «allahou akbar!» étant traduits d’une voix calme et grave par «Dieu est avec nous!»
On constate ainsi de la part des observateurs occidentaux – mais ce n’est pas une surprise – une présomption de vérité chez les partisans de la révolution et de mensonge chez les séides du régime en place. Peut-être est-ce là un réflexe de soixante-huitards attardés auxquels l’idée d’ordre et d’autorité donne encore des boutons de fièvre. Mais on peut aussi expliquer cette partialité par l’habitude bien humaine de cirer les pompes de ceux qui semblent sur le point de gagner et de manifester une hostilité ostensible à l’égard des futurs perdants.
En l’occurrence, il n’y a pas de grand risque: le colonel socialiste n’en a certainement plus pour longtemps à gouverner, sinon à vivre. Mort ou vif, il sera jugé par un tribunal international où une procureuse à tête de mérou le condamnera pour des crimes contre l’humanité dont la notoriété tiendra lieu de preuve suffisante.
Mais imaginons un instant, juste pour le plaisir de l’exercice intellectuel, qu’un tyran comme Kadhafi, contre toute attente, gagne la guerre contre les forces du bien, prenne le contrôle des tribunaux chargés d’écrire l’histoire, nomme ses propres autorités morales. Les journalistes qui auraient cru bien faire en dénonçant ses mensonges, par exemple à propos de la fameuse maison attaquée, se trouveraient soudain en état d’avoir minimisé grossièrement des crimes contre l’humanité, ce qui leur vaudrait assurément de passer un mauvais quart d’heure. Ils auraient alors tout loisir de méditer – mais un peu tard – sur les dangers de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, sur les désagréments d’une vérité historique imposée par des tribunaux, ainsi que sur la fragilité et la fugacité de la distinction entre «politiquement correct» et «politiquement incorrect».
Mais tout cela n’est qu’imagination et ces réflexions ne les atteindront pas.
Pollux
Thèmes associés: Ethique - Politique internationale - Révisionnisme
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