Mort comme un chien!
«Votre liberté, ne l’oubliez pas, vaudra justement ce que vous vaudrez.»
Alexandre Vinet
L’enseignement le plus essentiel donné tant par les circonstances de la mort du colonel Kadhafi que par les réactions libyennes et occidentales à cette mort fait froid dans le dos… Traqué, sans espoir d’exil et, finalement, sans plus aucun soutien à l’intérieur même de son propre pays, le chef libyen a démontré par sa vie et par sa mort la permanence d’une loi que tous les historiens sérieux ont exposée: en milieu musulman, le régime politique et social ordinaire est le despotisme tempéré par l’assassinat. Cette règle est attestée dans toutes leurs monarchies, du Maroc à la Turquie ottomane avant le XXe siècle. Citons Philippe du Puy de Clinchamps: «Les sultans marocains alaouites se succédèrent pendant trois siècles au milieu des assassinats, des révolutions de palais, des séditions et des guerres fratricides. La présence seule de la France mit un terme à cette anarchie en même temps qu’elle affermissait les Alaouites sur leur trône. (…) Plus d’une fois, on vit en Tunisie des intrigues de sérail écarter, par le meurtre discret, l’obstacle mis à l’ambition d’un prétendant de la famille beylicale. (…) Dans les profondeurs des palais de la famille d’Osman en Turquie, on vit, et souvent, mourir sans façon un prétendant en puissance, rien qu’après avoir bu ce que les bonnes gens appelaient du "mauvais café".»1 Un certain apport occidental est désormais venu réintroduire cette coutume après l’oppression coloniale, en ce début de XXIe siècle: l’assassinat ne se décide plus dans un sérail, un milieu de cour par définition restreint; il s’étend dorénavant à l’échelle internationale et implique les plus grandes organisations, l’ONU et l’OTAN. Il s’accomplit dans la rue avec la complicité de puissances étrangères à un Etat souverain, puissances auxquelles le régime de cet Etat et son chef portèrent, certes, des atteintes criminelles, mais, détail qui a tout de même son importance en droit international, sans être en état de guerre avec elles.
Le lynchage, dans ce cas, ne fut de loin pas que «médiatique». La communauté internationale est intervenue dans ce pays sans avoir été elle-même l’objet d’aucune agression de la Libye! Faut-il parler alors, comme le docteur Kouchner le fit en d’autres circonstances et pour un autre pays, d’un devoir d’ingérence? La nécessité de sauver des populations civiles contre leurs propres autorités politiques, si elle était sincère, voire fondée objectivement, exigerait, dans sa mise en application, au moins le respect du principe de l’égalité de traitement, ouvertement violé en l’occurrence si l’on fait le parallèle qui s’impose avec la Syrie.
Mais on serait beaucoup plus proche de la vérité en affirmant que, dans la communauté internationale, beaucoup voulaient la peau du chef libyen et que ce qu’on nous dit être ou avoir été «le printemps arabe» fut une excellente occasion pour mettre sur pied une opération non pas militaire, sinon dans ses moyens, mais véritablement et crûment meurtrière. L’assassinat est manifestement devenu un objectif politique «ordinaire» ne faisant reculer aucun chef d’Etat en Occident! Le milieu arabo-musulman se prête admirablement à ce genre d’opération, car il autorise tous les nouveaux petits Goebbels à en tirer des leçons de morale parfaitement convenable sur le refrain attendu des inéluctables droits de l’homme et de la démocratie.
Aussitôt le meurtre annoncé, les Libyens éclatèrent de joie sur toutes les places de leurs villes et dans les campagnes. Ils se disent enfin libres… Mais libres de quoi, et de qui? Libres d’agir de la même manière que celui qu’ils ont assassiné, autrement dit de l’imiter dans ses méthodes de pouvoir une fois celui-ci entre leurs mains. On l’a vu: la chose n’a pas tardé!
On disait jadis: religion, que de crimes en ton nom! La démocratie étant la religion séculière nouvelle, et les droits de l’homme le nouveau dogme planétaire, nous pouvons constater l’absence totale de changement: les fausses croyances demeurent toujours fausses, et la sauvagerie que les pouvoirs et les puissants mettent à les répandre toujours aussi évidente.
Michel de Preux
1 Les grandes dynasties, PUF, Paris 1965, pp. 84, 115 et 117.
Alexandre Vinet
L’enseignement le plus essentiel donné tant par les circonstances de la mort du colonel Kadhafi que par les réactions libyennes et occidentales à cette mort fait froid dans le dos… Traqué, sans espoir d’exil et, finalement, sans plus aucun soutien à l’intérieur même de son propre pays, le chef libyen a démontré par sa vie et par sa mort la permanence d’une loi que tous les historiens sérieux ont exposée: en milieu musulman, le régime politique et social ordinaire est le despotisme tempéré par l’assassinat. Cette règle est attestée dans toutes leurs monarchies, du Maroc à la Turquie ottomane avant le XXe siècle. Citons Philippe du Puy de Clinchamps: «Les sultans marocains alaouites se succédèrent pendant trois siècles au milieu des assassinats, des révolutions de palais, des séditions et des guerres fratricides. La présence seule de la France mit un terme à cette anarchie en même temps qu’elle affermissait les Alaouites sur leur trône. (…) Plus d’une fois, on vit en Tunisie des intrigues de sérail écarter, par le meurtre discret, l’obstacle mis à l’ambition d’un prétendant de la famille beylicale. (…) Dans les profondeurs des palais de la famille d’Osman en Turquie, on vit, et souvent, mourir sans façon un prétendant en puissance, rien qu’après avoir bu ce que les bonnes gens appelaient du "mauvais café".»1 Un certain apport occidental est désormais venu réintroduire cette coutume après l’oppression coloniale, en ce début de XXIe siècle: l’assassinat ne se décide plus dans un sérail, un milieu de cour par définition restreint; il s’étend dorénavant à l’échelle internationale et implique les plus grandes organisations, l’ONU et l’OTAN. Il s’accomplit dans la rue avec la complicité de puissances étrangères à un Etat souverain, puissances auxquelles le régime de cet Etat et son chef portèrent, certes, des atteintes criminelles, mais, détail qui a tout de même son importance en droit international, sans être en état de guerre avec elles.
Le lynchage, dans ce cas, ne fut de loin pas que «médiatique». La communauté internationale est intervenue dans ce pays sans avoir été elle-même l’objet d’aucune agression de la Libye! Faut-il parler alors, comme le docteur Kouchner le fit en d’autres circonstances et pour un autre pays, d’un devoir d’ingérence? La nécessité de sauver des populations civiles contre leurs propres autorités politiques, si elle était sincère, voire fondée objectivement, exigerait, dans sa mise en application, au moins le respect du principe de l’égalité de traitement, ouvertement violé en l’occurrence si l’on fait le parallèle qui s’impose avec la Syrie.
Mais on serait beaucoup plus proche de la vérité en affirmant que, dans la communauté internationale, beaucoup voulaient la peau du chef libyen et que ce qu’on nous dit être ou avoir été «le printemps arabe» fut une excellente occasion pour mettre sur pied une opération non pas militaire, sinon dans ses moyens, mais véritablement et crûment meurtrière. L’assassinat est manifestement devenu un objectif politique «ordinaire» ne faisant reculer aucun chef d’Etat en Occident! Le milieu arabo-musulman se prête admirablement à ce genre d’opération, car il autorise tous les nouveaux petits Goebbels à en tirer des leçons de morale parfaitement convenable sur le refrain attendu des inéluctables droits de l’homme et de la démocratie.
Aussitôt le meurtre annoncé, les Libyens éclatèrent de joie sur toutes les places de leurs villes et dans les campagnes. Ils se disent enfin libres… Mais libres de quoi, et de qui? Libres d’agir de la même manière que celui qu’ils ont assassiné, autrement dit de l’imiter dans ses méthodes de pouvoir une fois celui-ci entre leurs mains. On l’a vu: la chose n’a pas tardé!
On disait jadis: religion, que de crimes en ton nom! La démocratie étant la religion séculière nouvelle, et les droits de l’homme le nouveau dogme planétaire, nous pouvons constater l’absence totale de changement: les fausses croyances demeurent toujours fausses, et la sauvagerie que les pouvoirs et les puissants mettent à les répandre toujours aussi évidente.
Michel de Preux
1 Les grandes dynasties, PUF, Paris 1965, pp. 84, 115 et 117.
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