L'enfer, c'est les autres

Le décès du «cher dirigeant» Kim Jong-il en Corée du Nord, celui du colonel Kadhafi en Libye, la rébellion lancée à l’assaut du pouvoir du président Bachar el-Assad en Syrie, ou encore la contestation organisée contre le parti de Vladimir Poutine en Russie et contre le régime d’Alexandre Loukachenko en Biélorussie ont été autant d’occasions pour les commentateurs occidentaux de frémir d’indignation à l’idée que des régimes totalitaires puissent encore exister au XXIe siècle et de se féliciter des bienfaits de la démocratie. Seigneur, je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme eux…

On ne se permettra pas de douter que ces gens-là soient génétiquement différents de nous. On ne se risquera pas davantage à tirer d’audacieuses et impertinentes comparaisons entre le panégyrique du «leader suprême» et «génie militaire» Kim Jong-un par la presse de son pays, d’une part, et la grandiloquence avec laquelle nos journalistes dépeignent, par exemple, les mérites et le courage des requérants d’asile déboutés, des squatters et des militants écolo-gauchistes, d’autre part; ni entre les invectives adressées au «Grand Satan» américain par le régime iranien et, chez nous, le dénigrement systématique et virulent des politiciens «populistes», des grands banquiers, des assureurs, des «riches», des «patrons».

Le 12 janvier dernier, le Daily Mail – le même journal qui, quelques jours plus tôt, avait inquiété toute l’Europe en faisant croire de manière fantaisiste qu’un volcan géant allait entrer en éruption en Allemagne! –  affirmait que la Corée du Nord allait envoyer dans des camps de travail toutes les personnes qui n’avaient pas assez pleuré la mort de Kim Jong-il, ou qui ne l’avaient pas fait de manière assez convaincante. Info ou intox? Peu importe, on frémit d’indignation. Dix jours auparavant, on apprenait qu’un tribunal français avait condamné une grande entreprise d’aéronautique à verser une forte indemnité à un ouvrier algérien qui n’avait pas été engagé; la condamnation s’appuyait sur un simple soupçon de discrimination fondé sur une «analyse du registre du personnel» concluant qu’il n’y avait pas suffisamment de salariés «portant un nom à consonance maghrébine»! Mais cela n’a rien à voir: nous, nous vivons dans un Etat de droit.

*  *  *

A ceux qui voudraient malgré tout méditer sur la manière dont le totalitarisme s’installe insidieusement dans le «monde libre», y compris là où on ne l’attend pas, on signalera ce communiqué de presse militant publié le 2 janvier par Comparis.ch, société suisse spécialisée dans les comparaisons de prix sur internet dans le but d’aider les consommateurs à «payer moins»: sous le titre 2,3 milliards de francs jetés par les fenêtres, ces défenseurs de la libre concurrence déclarent: «Presque personne ne téléphone ou ne surfe avec l'offre la plus avantageuse. Cette incohérence coûte cher. (…) Les utilisateurs de portables ne paient pas moins de 2,3 milliards de francs de trop aux opérateurs chaque année. (…) Imaginez tout ce que l'on pourrait s'offrir avec 2,3 milliards de francs! Mais les Suisses préfèrent de toute évidence jeter cet argent par les fenêtres... (…) Il faudrait que [les clients] délaissent plus volontiers leur opérateur pour passer à l'un des concurrents les moins chers. Mais les Suisses restent fidèles à leur opérateur (…), ils paient tout simplement trop chaque mois, au lieu d’en changer une bonne fois pour toutes.»

Croyez-le ou non, on finira par punir ou tout au moins par forcer la main de ces mauvais citoyens qui ont l’outrecuidance de vouloir décider eux-mêmes comment ils dépensent leur argent et qui défient effrontément la loi du libéralisme en s’intéressant à autre chose qu’au prix lorsqu’ils achètent un produit ou un service. Nous nous rappellerons alors que le libéralisme idéologique rejoint fatalement le totalitarisme communiste dans une même haine de la liberté individuelle…

Pollux

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