Les choses vont moins bien que si elles allaient mieux

Dans une situation de crise, certains individus sont capables de faire preuve de solidarité et d'empathie; les autres, plus nombreux, se comportent comme des animaux: au mieux, ils font preuve d'une totale indifférence; au pire, ils sombrent dans la violence. Les populations occidentales, désormais habituées à vivre dans l'abondance et le confort, dans les loisirs omniprésents et dans le fantasme du Progrès humain, ont tendance à oublier cette réalité; pourtant, elles n'y font pas exception.

Les rares personnes à réfléchir à cette question sont généralement des «survivalistes» – certains un peu loufoques, d'autres très rationnels –, qui se préparent à toutes sortes de crises – économiques, écologiques, sanitaires – en n'accumulant pas seulement des vivres et des biens de première nécessité, mais aussi des moyens de se défendre contre leurs concitoyens capables de devenir violents en cas de pénurie. Pour cela, les survivalistes, même les plus calmes et les plus rationnels, font l'objet de nombreuses moqueries. Un peu comme on se moque de l'armée lorsqu'elle se prépare à un conflit qu'on juge improbable – on verra cela cet automne, lorsqu'il faudra voter sur le maintien ou non de la défense aérienne helvétique.

Dans l'immédiat, on va surtout voir ce qu'il en sera avec la crise du coronavirus. On ne sait pas, à l'heure où l'on écrit ces lignes, si cette situation exceptionnelle durera longtemps ou non, ni quelle sera l'ampleur de ses répercussions sur la vie quotidienne des habitants. Il est tout à fait possible, et même probable, que les choses se passent bien, que les chaînes d'approvisionnement continuent à fonctionner et que le monde retrouve son cours normal d'ici trois ou quatre mois. Une telle issue est à la fois plausible et souhaitable, et on se gardera donc de trop écouter les prophètes de malheur qui se complaisent à annoncer quotidiennement les détails les plus dramatiques d'une apocalypse inéluctable. Néanmoins, il est sage d'envisager toutes les hypothèses, en se demandant ce que l'on ferait si la moins probable d'entre elles survenait tout de même.

On verra. Mais à ce stade, on peut déjà constater un certain nombre de comportements sociaux peu propices à la sérénité qu'on aimerait voir régner ces prochaines semaines. Des gens commencent à vider les étals de certains supermarchés, voire à se disputer pour emporter les derniers rouleaux de papier-toilette. Les souverainistes récupèrent le coronavirus pour justifier la fermeture des frontières (alors que celles-ci ont d'autres raisons d'être) et les écolos-décroissants pour justifier la lutte anticapitaliste. Des cybercriminels tentent d'exploiter l'inquiétude de la population en usurpant l'identité des autorités sanitaires. Cerise sur le gâteau, on est entouré de gens incompétents dans à peu près tout, mais qui se répandent en commentaires savants et en jugements définitifs sur l'opportunité des mesures de prévention officielles: pour les uns, celles-ci sont évidemment exagérées et disproportionnés; pour les autres, elles sont évidemment trop timides, pas assez sévères et trop tardives. Or, quelle que soit la méfiance instinctive qu'on peut éprouver envers les autorités, la seule chose qu'on puisse dire est qu'on n'en sait fichtrement rien. Et quand on ne sait pas, mieux vaut ne pas donner son avis.

La seule opinion fondée qu'on puisse avoir sur la situation actuelle est donc la suivante: en temps normal, les gens sont insupportables; en situation de crise, c'est pire.

Pollux

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