Editorial

Dix-huit mois se sont écoulés depuis que s'est ouvert, dans le quartier lausannois du Vallon, l'Espace de consommation sécurisé de drogue, qui fonctionne à titre expérimental depuis le 1er octobre 2018 pour une durée de trois ans.

Etant arrivés à la moitié du chemin, les responsables du «shootoir» se devaient d'établir un bilan intermédiaire1.

Le croirez-vous? Ce bilan est positif.

Bien sûr, les toxicomanes continuent à préférer l'espace public au local d'injection et les voisins s'en plaignent. Bien sûr, les utilisateurs sont trois fois moins nombreux que prévu. Bien sûr, en ce qui concerne les nuisances, aucune amélioration n'a été constatée par les habitants des zones les plus sinistrées, à savoir la Riponne et le quartier du Tunnel – à leur avis, la situation s'est même aggravée. Mais les visites sont en hausse – dans quelles proportions? On ne nous le dit pas, ce qui est en soi suspect. Quant aux utilisateurs – une infime minorité –, ils sont globalement satisfaits de la prestation offerte. Alors, tout va bien!

D'ailleurs, les responsables ont encore dix-huit mois devant eux pour corriger les défauts du système et convaincre les sceptiques des bienfaits de leur projet.

Diverses pistes s'offrent aux autorités: il se peut que le local soit trop éloigné du centre-ville; il se peut aussi que ses horaires d'ouverture ne soient pas adéquats; et puis, «contrairement à ce qui se fait ailleurs en Suisse» – des noms! –, la vente de drogue à consommer immédiatement est interdite dans le local lausannois.

On pourrait donc supposer qu'un local situé dans le bâtiment de l'Espace Arlaud, du Palais de Rumine, de la Tour Bel-Air ou des Portes Saint-François attirerait davantage de «clients».

On pourrait imaginer qu'un local ouvert jour et nuit et non plus de 11h. à 19h.30 serait sensiblement plus fréquenté qu'un espace qui table sur le fait que, levés tard, les toxicomanes se couchent avec les poules.

On pourrait attendre, enfin, un certain succès de la vente de drogue sur place.

Toutefois, la mise en œuvre de ces idées géniales se heurterait certainement à de nombreux obstacles.

Il est douteux, en effet, que les propriétaires des bâtiments du centre-ville susceptibles d'accueillir le local de consommation de drogue, y compris la nuit, donneraient leur agrément. D'autre part, il est peu probable que la majorité des Lausannois accepteraient sans rechigner de financer la nécessaire création de nouveaux emplois non productifs dus à l'extension de l'horaire d'ouverture. Ils n'approuveraient peut-être pas non plus que la Ville de Lausanne autorise le trafic de cocaïne et d'héroïne – ce sont paraît-il les produits les plus courants – dans un lieu qui, en définitive, est géré en leur nom.

Bref: quel que soit l'angle sous lequel on examine le problème, on arrive à la conclusion que dix-huit mois ne suffiront pas à la mise en place de solutions qui satisfassent à la fois les responsables du local de consommation, les usagers et la majorité des citoyens.

Oser tirer de cette désastreuse expérience un bilan positif relève-t-il de l'optimisme béat, de l'aveuglement volontaire ou de l'outrecuidance cynique? D'un mélange des trois peut-être.

Mariette Paschoud

 

1 20 minutes du 11 mai.

Thèmes associés: Politique vaudoise

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