Editorial

Le 25 août, le sujet de notre éditorial était tout trouvé: un Zuricois du nom de Marcel Graf avait lancé avec quelques petits camarades, à la suite d’une pénible expérience, une initiative populaire réclamant le rétablissement de la peine de mort pour les meurtres en lien avec des agressions sexuelles; les autorités fédérales avaient autorisé la récolte des signatures après avoir contrôlé la forme du texte; Amnesty International avait crié son indignation; les partis avaient proclamé leur stupeur et leur rejet. Bref: on allait pouvoir débattre de la question de fond, à savoir l’opportunité de rétablir la peine capitale pour certaines catégories de délits.

Las! Le jour même, le principal promoteur de l’initiative retirait celle-ci au motif que sa famille avait reçu, outre des réactions diverses, des appels anonymes nocturnes. On apprenait alors que le Zuricois, en père responsable, n’avait pas l’intention de mettre en péril la sécurité des siens; que, vu le tollé déclenché par son action, il avait atteint son but, à savoir sensibiliser la population aux insuffisances de la justice en matière d’assassinats à caractère sexuel; ce qui ne l’empêcherait pas de relancer son initiative si le Département fédéral de justice et police n’adoptait pas une position claire sur le sujet. Belle cohérence !

Tous ceux qui ont passé par là savent à quel point le harcèlement téléphonique nocturne peut être angoissant, surtout quand on a des enfants. Nous n’attendons donc pas des gens comme Marcel Graf qu’ils résistent à la pression ne serait-ce qu’une nuit. Mais il nous paraît que les amateurs de publicité devraient y regarder à deux fois avant de mettre sciemment le bâton dans la fourmilière. Il ne faut pas se mêler d’envoyer un «signal fort» ou de «sensibiliser» les foules si on tient prioritairement à son confort et à ses charentaises.

Par ailleurs, il existe d’autres moyens d’attirer l’attention sur soi ou sur un sujet crucial que le recours abusif aux instruments de la démocratie directe. Monsieur Graf et ses amis auraient pu entamer une grève de la faim sur le Paradeplatz, organiser des manifestations de rue avec calicots et slogans, orchestrer des avalanches de lettres de lecteurs dans les quotidiens du pays ou tout simplement lancer une pétition.

Considérer l’initiative populaire ou le référendum comme des joujoux qu’on peut brandir puis remettre dans le placard au gré des besoins et des états d’âme constitue une atteinte à l’intérêt général: les autorités politiques dites démocratiques, qui voient d’un très mauvais œil que la population exprime des avis et prétende exercer sur elles un contrôle, auront beau jeu, si les abus se multiplient, au risque de lasser les citoyens eux-mêmes, de porter une nouvelle atteinte à la démocratie directe en augmentant encore une fois le nombre des signatures nécessaires à l’aboutissement d’une initiative ou d’un référendum; en arguant sans plus se gêner de quelque non-conformité avec des traités internationaux ou le respect des droits de l’homme. Il ne faut pas oublier qu’une initiative populaire peut être invalidée même si elle a obtenu ses cent mille signatures dans le délai de dix-huit mois requis. Les bonnes âmes d’Amnesty International le savent bien qui, apprenant le retrait de l’initiative de Marcel Graf, se réjouissaient, par la voix du porte-parole de leur section suisse Manon Schick, de ce que «l’Assemblée fédérale ne se retrouvera pas dans la situation délicate de devoir invalider cette initiative». Peut-on dire plus clairement que la cause était entendue d’avance et qu’AI aurait exercé les pressions nécessaires pour empêcher le sujet de passer en votation populaire?

Nous savons que nous ne sommes plus entièrement maîtres chez nous; que nos députés et, par conséquent, nos lois sont largement soumis aux mafias de toutes sortes qui pullulent dans les coulisses des parlements. Nous n’avons donc pas besoin que des concitoyens égocentriques et irresponsables se mêlent de faire le jeu des fossoyeurs de la démocratie directe.

Le Pamphlet

Thèmes associés: Politique fédérale

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