Editorial
S'il est une règle universelle, c'est bien celle qui dit que les économistes se trompent systématiquement. Et vu la situation actuelle, quel meilleur moment pour se gourer qu'aujourd'hui?
Nous vivons une période curieuse, où s'enchaînent et se combinent des schémas connus, comme la guerre, avec d'autres plus nouveaux, comme la sortie de la crise sanitaire. Quelles sont les causes et les conséquences probables de cet imbroglio? Répondre à cette question, voilà un vrai défi!
C'est de simple bon sens, mais rappelons que, pour avoir une vision d'ensemble, il faut prendre de la distance, essayer d'englober dans la réflexion les principaux paramètres, ce qui ne nous empêche pas, d'ailleurs, d'avoir un angle d'attaque. C'est un peu comme faire un zoom arrière sur Google Map depuis Lausanne jusqu'à voir l'ensemble de la Terre. On ne discerne plus les localités, ni même les pays, mais on voit les continents. C'est une réalité plus simple à décrire.
Essayons de faire de même avec la situation économique actuelle: comment en sommes-nous arrivés là?
L'endettement
Tout d'abord, il faut souligner que les différents Etats ne sont pas égaux devant le spectre de la récession. Les dettes publiques sont fort différentes d'un pays à l'autre et, si ceux du Sud de l'Europe, la France et la Belgique ont du souci à se faire, les pays du Nord, comme la Suisse, s'en sortent avec les honneurs. Cette disparité dans la façon de gérer les fonds publics pourrait amener des dissensions au sein de l'Union européenne le jour où il faudra à nouveau voler au secours des mauvais élèves méditerranéens.
Or la dette publique ne s'est pas créée en un jour. Un premier problème vient du fait qu'une gestion rationnelle des deniers publics ne rapporte pas de votes, car, si elle est rigoureuse, il y a peu de chances qu'elle arrose largement les électeurs. Les gouvernements qui se suivent et se ressemblent prennent des mesures coûteuses pour être bien vus et creusent la tombe des suivants.
Puis est venue la crise des subprimes, qui a fait trembler l'économie mondiale sur ses bases. Afin de sauver le navire, nous avons injecté des liquidités que nous n'avions pas dans les banques, creusant un peu plus le gouffre de la dette publique. Les années de crise qui ont suivi n'ont pas aidé à effacer l'ardoise, les rentrées fiscales dans ces cas-là n'étant pas suffisantes.
Et lorsqu'enfin il semblait que le bout du tunnel était en vue, le Covid nous est tombé dessus. Et rebelote, l'Etat subventionne à tout va avec de l'argent qu'il n'a pas et qu'il doit donc emprunter. Il est possible à un pays d'assumer deux ou trois crises coup sur coup, s'il part d'une situation financière saine, mais, pour certains pays du Sud, comme l'Italie ou la Grèce, dont la dette dépassait le 100% du PIB en 2007 déjà, il n'y a pas de marge pour les coups durs.
Mais, enfin, jusqu'à présent, tout le monde s'en est plus ou moins sorti grâce aux faibles taux d'intérêts, qui permettaient d'emprunter à très bon marché.
L'inflation
L'inflation se définit comme une augmentation généralisée des prix ou, ce qui revient au même, une diminution de ce que l'on peut acquérir avec un franc ou un euro. Elle intervient généralement lorsque l'économie va bien, que les entreprises paient des salaires, que le chômage est au plus bas et que, comme tout le monde a les poches pleines et la capacité de s'endetter, la demande est plus élevée que l'offre.
Or nous vivons actuellement une inflation qui ne répond pas à ce schéma. Certes, les prix augmentent en raison d'une demande plus élevée que l'offre, mais pas principalement à cause d'une hausse de la demande. C'est l'offre qui pose un problème, essentiellement pour trois raisons: d'une part, le coût de l'énergie atteint des sommets, ce qui est reflété dans le prix du produit fini. D'autre part, la Chine, à dessein ou non, ne produit pas en quantités suffisantes les composants nécessaires à la production d'innombrables produits. Et, enfin, la guerre empêche l'exportation des milliers de tonnes de blé que l'Ukraine produit.
Comme nous le mentionnions dans un précédent article1, la hausse des taux directeurs est un des outils dont disposent les banques centrales pour freiner l'inflation. Lorsque les taux des crédits augmentent, la demande diminue et l'inflation se réduit. Mais cette méthode n'est efficace que dans la situation d'un excès de demande et non dans le cas qui nous occupe. Des taux plus élevés ne vont pas provoquer une amélioration de l'offre ni diminuer significativement la demande.
Voilà des années que les taux directeurs sont à zéro, dans l'espoir de réactiver l'économie et d'encourager la consommation, sans résultat probant. De là à dire qu'il faut remettre en question le modèle, il n'y a qu'un pas.
Une inflation importante réduit la valeur de l'actif et du passif. Si vous avez de l'épargne, il faut la dépenser car elle vaudra moins demain. Mais si vous avez des dettes, vous êtes contents, car elles représenteront un montant moindre également. Encore faudrait-il que les entreprises augmentent les salaires en proportion, ce qui n'est pas certain, vu que ce ne sont pas les bénéfices qui augmentent mais les coûts de production.
Ce dont on peut être à peu près sûr, c'est que les Etats ne vont pas se serrer la ceinture et que c'est le contribuable qui passera à la caisse pour compenser le surendettement. Encore une chose qui ne va pas contribuer à favoriser la consommation.
Michel Paschoud
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