Suis-je un vieux con?

Je crains d’être devenu un vieux con. Je m’en rends compte chaque jour en voyant mes enfants lever les yeux au ciel à certaines de mes remarques ou questions. Comment en suis-je arrivé là? Le monde change à toute vitesse, non seulement en ce qui concerne la technologie, mais également les mœurs et les mentalités. Mes avis sont-ils pertinents? Ma vision de la société est-elle celle d’un homme auquel l’expérience a apporté une certaine dose de sagesse et un recul qui lui permettent de voir la réalité avec plus de perspicacité ou, au contraire, suis-je totalement dépassé par les événements, jugeant le monde à travers la lorgnette de mes préjugés rétrogrades et nauséabonds?

Cela vous fait peut-être sourire, mais c’est une question tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Comment y répondre avec certitude. On est toujours enclin à penser qu’on a raison sur tout, mais l’expérience nous démontre régulièrement que ce n’est pas le cas. Il y a, sur tous les sujets, des gens qui en savent plus que nous et le bon sens devrait naturellement nous encourager à ne pas opiner tant que l’on n’a pas fait le tour d’une question. La sagesse serait donc de nous taire en général et de laisser parler les experts.

Mais vous tomberez d’accord avec moi sur le fait que cela n’est pas la solution. Tout d’abord, comment déterminer qui sont les experts à qui donner la parole? Nous croulons littéralement sous les spécialistes, économistes, épidémiologistes, climatologues, psychologues et bien d’autres, qui, sur tous les sujets, se contredisent à qui mieux mieux. Et cela n’a rien d’étonnant dans la mesure où il n’y a pas beaucoup de domaines dont on peut dire qu’on en a fait le tour. Le débat fait partie intégrante de la recherche scientifique, d’une part, mais également de bien d’autres aspects de la vie en société, comme le débat politique, qui confronte des points de vue parfois radicalement opposés, à cause des valeurs et des convictions sur lesquels ils reposent.

A partir du moment où l’on admet qu’il est plus ou moins impossible de déterminer quel individu a raison, on penchera naturellement vers une approche de type démocratique: si une majorité de personnes compétentes sur un sujet se mettent d’accord, il est probable qu’elles ont raison. Et, dans ce cas, on ne parle pas de la moitié plus un; il faudra une forte majorité pour qu’elle soit convaincante. Encore que… Les complotistes de tout poil soulignent, non sans raison, qu’il n’est pas impossible que des intérêts occultes influencent le discours des experts, déformant ainsi la réalité des faits.

Tout cela ne m’aide guère à résoudre mon dilemme existentiel, mais revenons à mes enfants. Qu’ils étaient mignons étant petits, lorsque rien de ce que je leur disais n’était mis en doute, pas même la ruse grossière de la soupe au crocodile destinée à leur faire manger des légumes! Aujourd’hui, si j’ose pester contre les féministes ou mettre en doute l’opportunité de parler de genre au lieu de sexe, je me fais immédiatement tomber dessus par mon fils, qui m’explique avec agacement que je n’ai rien compris à la question.

Lorsque j’étais moi-même enfant, le fossé générationnel n’était à mon avis pas aussi important qu’aujourd’hui. Mes parents avaient grandi dans un monde très semblable à celui que je connaissais et, si la phase de l’adolescence n’a pas été de tout repos, nous avions des codes et des références communs, et j’étais conscient de ne pas avoir les connaissances et l’expérience suffisantes pour remettre en question les avis de mes parents. Les choses sont bien distinctes aujourd’hui. Mes enfants sont nés avec internet et un accès à des quantités de contenus et de connaissances inimaginables il y a trente ans. Ils en savent plus que moi dans bien des domaines et cela semble les encourager à penser que l’expérience compte pour rien.

Je me console en pensant que ce ne sont finalement pas des experts et que mes deux gamins ne forment pas une majorité suffisante pour me ranger définitivement dans la catégorie des vieux cons. Mais cette question n’est quand même pas réglée; affaire à suivre.

Michel Paschoud

Thèmes associés: Jeunesse - Société

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