Editorial
Je le disais au passage dans mon dernier éditorial: il est injuste de taxer l’ensemble des enseignants vaudois de fainéantise sous prétexte que les écoliers bénéficient de longues vacances – quatorze semaines.
Il faut savoir que les enseignants, comme les autres employés du secteur public, bénéficient de cinq à six semaines de vacances selon leur âge. Les huit à neuf semaines restantes sont censées être consacrées à des activités professionnelles – préparation de cours, perfectionnement, initiation à de nouvelles méthodes et à de nouvelles terminologies, conférences des maîtres de début et de fin d’année scolaire, notamment.
Il faut reconnaître que les maîtres qui, dès le début de leur carrière, préfèrent la routine au renouvellement s’offrent des vacances plus longues que les autres. Il en va de même pour les vieux routiers de l’enseignement, qui n’ont plus grand-chose à découvrir.
Il ne s’ensuit pas que l’ensemble du corps enseignant vaudois soit constitué de fainéants.
Il est un aspect de la profession que ses détracteurs négligent toujours: la tension nerveuse croissante à laquelle sont soumis les maîtres du fait que leur autorité est de plus en plus battue en brèche non seulement par les enfants, dont le développement harmonieux prime la nécessité d’un minimum de discipline, mais aussi par les parents, qui ne sont plus depuis longtemps les partenaires des maîtres primaires ou secondaires, mais les adversaires de ceux-ci quand, par malheur, leur précieux rejeton rencontre des problèmes à l’école. Si on ajoute à cela que certains directeurs d’établissement négligent de soutenir leur personnel enseignant, on se trouve devant une situation qui, à elle seule, justifierait des vacances prolongées, ne serait-ce que pour éviter les congés maladie causés par des dépressions nerveuses.
Mais ce n’est pas tout. Il y a quelques années, la mode pédagogiquement correcte a engendré l’«école inclusive», qui veut que soient accueillis dans les classes ordinaires les enfants souffrant de handicaps divers – ou «élèves à besoins spécifiques» selon un document qui est un modèle de jargon pédagogique1.
Concrètement, les «élèves à besoins spécifiques» assistent aux mêmes cours que les autres écoliers, mais accompagnés d’enseignants spécialisés, qui les aident à nouer des contacts avec leurs camarades et à comprendre, pour ceux qui souffrent d’un retard intellectuel, ce qu’enseigne le maître d’école.
En principe, les classes n’accueillent pas plus d’un «élève à besoins spécifiques» à la fois. On peut néanmoins imaginer la tension supplémentaire que peut représenter, pour un enseignant, l’obligation de dispenser ses cours – ou plutôt, de nos jours, d’animer sa classe – en présence de spécialistes qui, volens nolens, exercent une surveillance sur son travail et son attitude face à l’inclusion.
On se trouve devant un monument d’absurdité.
Premièrement: si l’inclusion en classes ordinaires d’élèves «différents» ne pose aucun problème chez les petits enfants, qui se moquent comme d’une guigne des «besoins spécifiques», il semble que les choses changent au fur et à mesure que les jeunes handicapés grandissent, et qu’ils souffrent toujours davantage de ne pas être «comme les autres» dans un milieu scolaire qui accentue les différences2.
Deuxièmement: au nom des excellentes intentions dont est pavé le chemin de l’enfer – surtout quand les paveurs ne connaissent rien aux enfants –, on impose aux enseignants des conditions de travail impossibles.
Troisièmement: au nom des mêmes excellentes intentions, on oblige les écoliers sans «besoins spécifiques» à subir les inévitables adaptations propres à faciliter l’«intégration» de camarades qui ne la souhaitent même pas.
Tout le monde est perdant dans cette affaire, sauf les «spécialistes», qui d’ici peu ne se consacreront plus seulement au soutien des «élèves à besoins spécifiques», mais aussi à celui des maîtres dégoûtés et des élèves sans «besoins spécifiques» sacrifiés.
Afin de terminer sur une note un peu gaie, je signale que l’humoriste Claude-Inga Barbey a consacré au calvaire des enseignants une vidéo désopilante3.
Pressons-nous de rire de tout de peur d’être obligés d’en pleurer.
Mariette Paschoud
1https://www.vd.ch/themes/formation/enseignement-obligatoire-et-pedagogie-specialisee/concept-360.
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