Editorial

L’énorme hausse des primes de l’assurance maladie de base obligatoire a déclenché un tollé. Pour une fois, tout le monde est d’accord: ça ne peut pas continuer; il faut trouver un moyen de financer les coûts de la santé sans que les primes continuent à s’envoler.

Les propositions fusent de toutes parts: passer à une caisse maladie unique – il paraît que la majorité des Suisses y sont favorables, ce qui prouve qu’ils n’ont pas compris que le système actuel n’est rien d’autre que celui de la caisse unique, camouflé derrière la pseudo-concurrence des fournisseurs de prestations de base; ponctionner les entreprises; augmenter les subsides; faire payer les assurés en fonction de leur revenu; diminuer les prestations; instaurer un moratoire financé par les réserves des caisses maladies; créer une commission d’enquête pour déterminer les causes de la hausse des primes. J’en oublie probablement.

Sous réserve de rarissimes exceptions noyées dans la masse, personne ne semble conscient de cette vérité élémentaire: si le système que nous connaissons ne fonctionne pas correctement, c’est parce qu’il est mauvais.

Il est mauvais, parce qu’il pressure les assurés.

Il est mauvais, parce qu’il incite ces derniers à passer d’une caisse maladie à l’autre avec ce que cela implique de coûteuse paperasserie et de variation des réserves financières des caisses, obligées d’accepter tous les candidats.

Il est mauvais, parce que la seule marge de manœuvre laissée aux assurés se limite à la modification du montant de leur franchise, au changement de modèle et au passage à une caisse provisoirement moins chère.

Il est mauvais, parce qu’il oblige les contribuables à payer, en plus de leurs primes, les subsides grâce auxquels «les plus démunis» ont moins de peine à boucler leurs fins de mois.

Il est mauvais, parce qu’il pousse certains médecins à prescrire des traitements inutilement coûteux, voire superflus – après tout, c’est l’assurance qui paie.

Il est mauvais, parce qu’il est hypocritement égalitariste dans la mesure où les inégalités sociales et financières chassées par la porte de l’assurance de base rentrent par la fenêtre des assurances complémentaires.

Et surtout, il est mauvais, parce qu’il est obligatoire, ses créateurs, notamment l’ex-conseillère fédérale socialiste Ruth Dreifuss, étant partis du principe que seule l’obligation permettrait d’éviter que des habitants de notre pays ne soient pas assurés; qu’elle seule assurerait la solidarité entre ce qu’il faut bien appeler les assujettis.

Selon une prise de position publiée par l’Académie suisse des sciences médicales en 20201 – je n’ai pas trouvé de statistiques plus récentes –, le nombre des personnes qui, faute de moyens et dans l’ignorance des aides possibles, ou par «mauvaise foi», ne payeraient pas leurs primes d’assurance maladie et leur participation aux frais se monterait à 166'000. C’est très peu, si on considère que la Suisse compte plus de 8,5 millions d’habitants – mais ça fait tout de même chaque année, paraît-il, quelque 453 millions qui n’entrent pas dans les caisses des assurances maladie. Comme il est peu probable, compte tenu de l’augmentation des coûts de la santé et de l’envol des primes, que ce chiffre soit en diminution depuis trois ans, force est d’admettre que quelque 2% de la population n’est pas assurée.

Si j’en crois un ancien article du Temps2, le nombre des personnes non assurées était de 3% à la fin des années 1980. C’est dire que l’assurance obligatoire entrée en vigueur en 1996 n’a pas entièrement réglé le problème. Quant à la solidarité, elle consiste une fois de plus à piquer dans les poches de la classe moyenne les sous destinés aux «plus démunis».

Pourquoi donc une personne riche ne pourrait-elle pas décider de renoncer à une assurance maladie et de payer elle-même ses frais? Pourquoi des caisses maladie vraiment concurrentes ne pourraient-elles pas offrir des catalogues de prestations dans lesquels les adultes de notre pays, conscients, dans leur immense majorité, de la nécessité de s’assurer et d’assurer leurs enfants correctement, feraient leur choix en fonction de leur âge, de l’évaluation de leur état de santé futur et de leurs moyens financiers? Pourquoi notre système social si généreux ne pourrait-il pas continuer à venir en aide aux défavorisés? Pourquoi la solidarité entre assurés ne pourrait-elle pas s’exercer à l’intérieur de chaque caisse maladie plutôt qu’au sein d’un système obligatoire?

Il n’y a pas de solution miracle, dans aucun domaine. Mais, dans tous les domaines, la pire des solutions est celle qui se fonde sur la rigidité et la prise d’otages.

Mariette Paschoud

 

1 Prise de position de la Commission Centrale d’Ethique de l’ASSM (Berne, 24 février 2020), approuvée par le Comité de direction de l’ASSM le 21 avril 2020.

2 https://www.letemps.ch/suisse/maudite-lamal.

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