Quand un évêque accuse un autre évêque
Le 11 décembre 2023, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Charles Morerod, convoquait une conférence de presse au cours de laquelle il révélait que son prédécesseur, l’évêque Bernard Genoud, était accusé d’actes d’ordre sexuel, commis sur une jeune femme de dix-neuf ans, à l’époque où il enseignait à Bulle, au collège du Sud, ce qu’il fit entre 1976 et 1994.
Emu par la détresse de la victime, qui était venue lui parler après s’être confiée à la vice-présidente du Groupe de soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse (Groupe SAPEC1), l’évêque Morerod a jugé opportun d’alerter la presse et de lancer un appel à témoins2.
Aussitôt, les médias ont relayé avec délectation «un cas qui donne une dimension inédite aux affaires d’abus dans l’Eglise».
Apparemment, personne ne s’est seulement demandé si le prélat incriminé pouvait l’être à tort. L’évêque Morerod est tombé «dans la sidération», puis sous l’influence des «ça ne m’étonne pas» et des «je pense qu’on savait» de diverses personnes avec qui il s’est entretenu.
Et pourtant, si on s’en tient aux faits, qu’avons-nous?
Nous avons une femme dont on ne sait rien, si ce n’est qu’elle veut rester anonyme, qu’elle aurait été scolarisée au collège du Sud de Bulle à une époque située entre 1976 et 1994 et qu’elle devait donc avoir, à la fin de l’année dernière, entre quarante-huit et soixante-six ans. Tout le reste repose sur son unique témoignage et sur la foi que l’évêque Morerod, Madame Aeby, vice-présidente du Groupe SAPEC, et «la personne qui l’accompagne psychologiquement» ajoutent à ses affirmations.
Je n’exclus pas que Mme ou Mlle X dise la vérité. Mais il me semble tout de même que le dossier manque d’épaisseur et que, avant de jeter l’opprobre sur son prédécesseur, qui ne peut plus se défendre puisqu’il est mort en 2010, l’évêque Morerod aurait pu mener une enquête un peu plus sérieuse.
A l’heure où j’écris ces lignes (13 janvier), l’appel à témoins du 11 décembre semble avoir fait long feu, puisque ni l’évêché ni la presse, qui n’aurait pourtant demandé que cela, n’ont fait état de nouvelles victimes ou de nouveaux témoignages.
Que faut-il en penser?
Mariette Paschoud
1 Lors de sa fondation en 2010, le groupe s’était intitulé Groupe de soutien aux abusé-e-s des prêtres de l’Eglise catholique.