Le temps des meutes
Les débats sur l’initiative populaire pour une treizième rente AVS se déroulent de manière navrante.
Du côté des opposants, on s’arc-boute sur des arguments financiers certes fondés, mais qui ne font visiblement pas mouche. Ce choix peut se comprendre: il a fallu des années d’efforts et de patience pour réussir enfin, après plusieurs tentatives sabotées par la gauche, à faire aboutir une timide réforme offrant à l’AVS un sursis d’une dizaine d’années avant le plongeon dans les chiffres rouges… et voilà que les partis de gauche reviennent à la charge pour anéantir tous ces efforts en un tour de main, en promettant à une population ravie un nouvel accroissement des prestations. Il y a là quelque chose de décourageant et cela explique que les questions financières soient prépondérantes pour la droite. Mais la promesse d’ouvrir les vannes de l’assurance-vieillesse séduit la population, désormais persuadée que les retraités sont tous de pauvres miséreux qui tombent dans l’indigence après avoir trimé toute leur vie. Cette croyance est démentie tant par les statistiques que par la simple observation du monde qui nous entoure: beaucoup de retraités font du shopping, voyagent, entretiennent leur maison. Mais cette réalité-là ne compte pas; seule s’impose celle des retraités les plus modestes. Pour aider ceux-ci, ce n’est pas l’AVS qu’il faut augmenter, mais le deuxième pilier, car c’est ce dernier qui doit constituer la véritable retraite; en le renforçant et en l’adaptant, on s’assurerait que chaque personne arrivant au terme de sa vie active bénéficie d’une retraite convenable. Mais la gauche méprise la prévoyance professionnelle, pas assez étatiste, pas assez uniforme, laissant trop de place à la responsabilité individuelle.
Hélas, ces diverses considérations sont trop rationnelles et trop subtiles pour une population à laquelle d’habiles tribuns promettent simplement «plus de pognon»; une population chauffée à blanc par les discours idéologiques modernes, dont la trame reste toujours la même: diviser la communauté en désignant des victimes, d’une part, et de l’autre un ennemi haïssable. La plupart des partisans de la treizième rente répètent ainsi que les autorités trichent, que les chiffres officiels sont faux, que les riches accaparent toutes les richesses et qu’il suffirait de les dépouiller pour renflouer durablement les assurances sociales et escamoter magiquement les réalités démographiques. Chacun veut se poser en défenseur des gentils pauvres face aux méchants riches et on assiste progressivement à un emballement, à un effet de meute, où la nuance et la prudence n’ont plus cours, où les débats ne sont que des dialogues de sourds et où seule subsiste la scansion de slogans simplistes et hargneux.
L’effet de meute, inhérent à la nature humaine, a sans doute existé à toutes les époques. Il est stimulé dans les régimes démocratiques, où chacun est censé avoir un avis sur tout – quand on n’en a pas, on se rallie à celui de la foule. Aujourd’hui, il se répand dans une société déboussolée, morcelée, désespérée et prête à suivre les cris de n’importe quelle masse humaine en mouvement. On retrouve l’effet de meute à gauche, bien sûr, chez les allumés du climat, du genre ou de l’hygiénisme. Mais – et il nous en coûte de l’admettre – il rôde aussi dans des catégories de gens qui ne nous sont pas forcément antipathiques. Chez certains de ceux qui s’inquiètent de l’immigration massive, chez certains souverainistes, ou antivax, ou russophiles, et même chez certains des agriculteurs qui manifestent avec leurs tracteurs, les slogans et les postures outragées ont parfois tendance à se substituer à la réflexion et à la nuance, et les propos deviennent d’autant plus virulents que la force du nombre se fait sentir. En meute, les humains comme les animaux ne réfléchissent plus et piétinent tout sur leur passage.
On en vient à se demander si les dangereuses tensions qui déchirent actuellement la scène internationale ne font pas tout bonnement écho à celles qui divisent les simples péquins.
Pollux
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