Tibhirine

Le massacre des sept moines trappistes de Tibhirine, en Algérie, le 21 mai 1996, est revenu dans l’actualité avec le film de Xavier Beauvoir Des hommes et des dieux, dont la presse a parlé abondamment. On peut, à première vue, trouver étrange que ce qui apparaissait comme un martyre en terre d’islam suscite un tel intérêt en Occident. Mais en approfondissant la question, on se rend compte assez vite qu’il n’est pas question de martyre puisqu’il n’est pas question de foi, dans le film d’abord, dont l’auteur se dit ouvertement incroyant, dans la réalité ensuite comme nous le verrons.

On peut se servir d’un fait divers pour en user dans le sens qu’on veut, à condition de ne pas prétendre interpréter l’histoire. Dans le cas d’espèce, malheureusement, la fiction est fidèle à la réalité. Je me suis procuré divers écrits spirituels du prieur de cette communauté de l’Atlas algérien, Christian de Chergé. De leur lecture, je tire la conclusion que ces pauvres moines comptent parmi les victimes de ce qu’il est convenu d’appeler «l’esprit de Vatican II». Leurs rapports avec le monde musulman environnant était marqué du sceau permanent de l’ambiguïté. Dans leur esprit, l’Evangile avait perdu son sel, et l’on connaît la sanction de ce défaut, car elle fut énoncée par le Christ: il n’est bon qu’à être jeté…

C’est ce que firent, en fin de compte, les musulmans, pour notre instruction. Le dialogue interreligieux, devenu chez nous quasi obsessionnel, débouche sur des impasses certaines. Mais il a un autre défaut, beaucoup plus insidieux. Il n’est pas dans son déroulement même un dialogue dans la vérité, aussi limitée qu’on puisse supposer cette dernière, dans l’espoir fallacieux de la considérer comme une étape vers de nouvelles rencontres. C’était bien la part d’illusion de ces moines en particulier. Le dialogue interreligieux est en son essence «conciliaire» un échange mondain dans lequel les partenaires se dissimulent mutuellement leurs divergences sur l’essentiel pour faire croire, et sans doute aussi se donner à croire à eux-mêmes, que leurs points de vue se rapprochent, alors qu’en réalité un tel rapprochement, quand il existe, n’a absolument rien de religieux ni de spirituel; c’est un rapprochement purement politique, où le plus fort a le triomphe assuré.

Le écrits du Père Christian de Chergé nous en fournissent la preuve absolument irréfutable, mais cette preuve tourne à l’avantage de l’islam, non du christianisme! Il est difficile, pénible même, de relever qu’une telle pratique du dialogue interreligieux implique du côté catholique une mauvaise foi certaine. Venons-en au fait. Dans le chapitre VII de son livre L’invincible espérance1, il est question d’un témoignage commun entre chrétiens et musulmans sur le thème de la miséricorde divine. Christian de Chergé cite à ce propos deux versets du Coran, extraits des sourates 3 et 8. La lecture de ces extraits est de nature à troubler les esprits chrétiens. Les voici: «O gens du livre [il s’agit des chrétiens et des juifs]! Venez à une parole commune entre nous et vous (souligné par moi).»2 Et cet autre extrait: «Seuls sont vraiment croyants ceux dont les cœurs frémissent à la mention du Nom de Dieu.»3 Christian de Chergé enchaîne aussitôt: «Est-ce le cas de chacun de nous?»4

A lire ces passages des écrits spirituels du Père de Chergé, on peut raisonnablement se demander si, effectivement, il n’y a pas dans le Coran des ouvertures vers une certaine communion de pensée spirituelle avec les chrétiens, aussi limitée soit-elle. Vérification faite, il n’en est rien, hélas! Les deux versets sont, dans la citation qui en fut faite par le prieur de Tibhirine, tronqués. La version complète, c’est-à-dire authentique, de ces versets coraniques, celle qui en donne le sens obvie, confirme la fermeture du Coran sur lui-même et son antichristianisme viscéral. Preuve: «Dis: Vous qui avez le livre, venez dire une parole qui nous soit commune: n’adorer que Dieu, ne lui ajouter personne, n’avoir aucun autre supérieur que Dieu (id.).» Cette partie, pourtant essentielle à la compréhension du sens de ce verset coranique 64 de la sourate 3, a été supprimée dans la citation qu’en fit le Père de Chergé dans son livre L’invincible espérance, sans doute parce qu’elle exprime clairement le rejet de la divinité du Christ et du mystère trinitaire. Quant à l’autre verset cité, voici également sa version intégrale: «Les croyants sont ceux dont le cœur frémit à la seule mention de Dieu et dont la foi augmente au récit de ses5 versets (id.)», ce qui signifie sans ambiguïté que la référence unique à la Parole de Dieu est le Coran.

Pauvre Occident qui croit trouver la paix religieuse dans la désertion du combat pour la vraie foi, jusqu’à rendre vain le sacrifice même de la vie!

Michel de Preux

1 Ed. Bayard, Montrouge (Hauts de Seine) 2010, 320 pages.

2 Sourate 3 – la famille d’Amram – verset 64.

3 Sourate 8 – le butin – verset 2.

4 Op. cit., p. 70.

5 Le Coran affirme bien par cet article possessif que les versets qu’il contient sont la Parole même de Dieu.

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