Missive du futur

Ce matin en me réveillant, j’ai trouvé une pile d’étranges missives sur la table de ma cuisine. Leur authenticité m’ayant paru douteuse, je les ai soumises à un expert, qui m’a confirmé que le papier de certaines étaient d’une espèce inconnue mais que l’écriture était bien la mienne et non une bonne imitation. N’ayant pas d’explication rationnelle, je reproduis la première ici sans plus de commentaires.

Cher Ami,

Le comment n’importe guère. Tout ce qu’il y a à savoir, c’est que c’est possible. Je peux t’envoyer des lettres du futur, tous les dix ans à cette date précise, et elles te parviendront toutes en même temps. Aujourd’hui, nous sommes les 16 juin, 2024 pour toi, 2034 pour moi. Dix ans de différence, cela ne fait pas grand-chose dans l’absolu, néanmoins il s’est passé un grand nombre d’événements depuis que j’ai lu cette même lettre trouvée sur la table de ma cuisine et qui a bouleversé toute ma vie.

Je vais t’indiquer les règles essentielles à suivre afin d’éviter que ce petit miracle ne se transforme en cauchemar. Les informations que je vais te communiquer ne doivent en aucun cas te servir pour obtenir des avantages ou des richesses et elles ne doivent être transmises à personne. Je sais bien que tu te tiendras à ces deux préceptes; je l’ai fait.

Laisse-moi te décrire dans cette lettre le monde dans lequel je vis aujourd’hui. Comme tu le sais, en 2024, on ne parle plus que d’intelligence artificielle, des dangers et des possibilités qu’elle peut représenter. Le changement climatique et les guerres d’Ukraine et d’Israël sont au centre des débats.

Bien! En ce qui concerne le développement des technologies, les choses vont plus lentement que ce que l’on espérait. Certes, il y a eu un certain nombre de prototypes d’ordinateurs quantiques capables de faire des choses extraordinaires en un temps record, mais le coût que représente chaque machine est monstrueux et l’on est encore très loin voir ce type d’appareil chez les particuliers. La robotique, en revanche, a fait une avancée spectaculaire. Nous n’avons pas tous chez nous des robots humanoïdes, mais ils sont répandus dans les hôpitaux, les EMS et les armées. L’investissement en recherche et développement a été soutenu à la demande des Etats. Par contre, nous avons tous des robots informatiques incorporés à nos appareils. On converse avec eux pour qu’ils nous indiquent ce qui nous manque dans le réfrigérateur, quelle est la cuisson que nous voulons pour nos œufs, ou pour qu’ils nous organisent notre journée. Certains, dont je fais partie, pensent que nous perdons certaines capacités à force de déléguer nombre de tâches aux machines.

En ce qui concerne la politique en Suisse, les choses ne s’arrangent pas. Après le fameux sommet du Bürgenstock, qui se déroule en ce moment même pour toi, si je ne fais erreur, le Conseil fédéral n’a rien trouvé de plus intelligent que de demander formellement notre adhésion à l’OTAN. L’argument phare du Gouvernement a été que, si on n’était plus neutre, autant être protégé par de puissants alliés. Après cela, le Groupe pour une Suisse sans armée, appuyé par le Parti socialiste, a immédiatement lancé une initiative pour supprimer l’armée une fois l’incorporation à l’OTAN effective. Il a perdu, évidement, puisque, en tant que membre de l’alliance, il faut participer. Nous avons donc maintenant des soldats engagés à travers le monde. Ce sont tous des professionnels, mais ça fait quand même un peu mal au ...

Le fédéralisme est redevenu très à la mode; non, je plaisante, bien sûr. A force d’initiatives populaires, les partis ont réussi à concentrer à Berne la plus grande partie des pouvoirs de décision. La fiscalité a beaucoup augmenté, car il faut payer maintenant la treizième rente et le déficit démographique de l’AVS. Un truc qui n’a pas changé, c’est le cheval de bataille du Parti socialiste: «Il faut prendre aux riches.» Le problème, c’est qu’avec ce système, la majorité des riches sont partis, et ceux qui sont restés ne le sont plus.

Pour ce qui est du changement climatique, pas de grosse évolution. Il fait globalement plus chaud et plus froid qu’avant, les phénomènes sont plus extrêmes, mais on parle de stabilisation. Les investissements pour la production d’énergie propre ont été pharaoniques en Suisse – tu sais bien que nos dirigeants ont le complexe du premier de la classe. Alors, nous payons l’électricité une blinde, mais nous avons rempli les objectifs 2030. Comme nous sommes à peu près les seuls, nous avons été cités en exemple dans le monde entier, le ministre de l’énergie a pu aller serrer des paluches à New York et le reste du monde a continué à polluer allègrement.

Pour ce qui est des conflits, la troisième guerre mondiale n’a pas eu lieu ou, disons, pas encore. L’Ukraine est entrée dans l’OTAN et la Russie s’est retirée. Il n’y a pas eu de capitulation; simplement la fin de la guerre. Certains fonds russes bloqués ont été attribués à la reconstruction de l’Ukraine. Des sanctions ont été imposées à la Russie, qui en a imposé en retour. La guerre d’Israël ne s’est malheureusement pas aussi bien terminée. Les pays musulmans ont fini par se liguer contre l’Etat hébreu, qui a été envahi, ce qui a provoqué une nouvelle diaspora juive. Les ressortissants de l’Etat d’Israël ont été bien accueillis dans le monde entier, mais ils ont perdu leur Etat, et personne n’a levé le petit doigt. Les grands oubliés ont été les chrétiens, qui ont dû s’en aller également à la suite de la création de l’Etat islamique de Palestine.

Voilà, les enfants vont bien. Je t’envoie une autre lettre dans dix ans.

Cordialement.

Xavier Savigny, 16 juin 2034

Thèmes associés: Environnement - Politique fédérale - Politique internationale - Société

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