Libre pensée

Depuis quelque temps, la Croix, la Bible et même le Coran font l’objet de fréquentes attaques soutenues par l’Association Suisse des Libres Penseurs, dont, comme chacun sait, les membres ne conçoivent la liberté de pensée que laïque, pour ne pas dire athée, et donc interdite à quiconque manifesterait quelque penchant pour une religion autre que celle des droits de l’homme. Tout symbole religieux les fait verdir d’horreur, ce qui, curieusement, ne les a pas empêchés de s’opposer avec énergie à l’interdiction des minarets.

Entre le guide de montagne fribourgeois arrêté après avoir scié deux croix en Gruyère «pour provoquer une discussion», l’enseignant valaisan sanctionné pour avoir retiré un crucifix de sa classe, l’Allemand fraîchement débarqué ostracisé pour s’être attaqué aux symboles chrétiens d’une école lucernoise et les trois fondamentalistes hindous, installés en Suisse depuis huit ans, interpellés juste avant de mettre à exécution leur projet de brûler une bible et un coran devant le Palais fédéral, l’ASLP a des combats à mener, ce qu’elle fera sans doute dans l’esprit de tolérance et de bonne foi qu’on lui connaît.

Je ne vois aucun inconvénient à ce que le guide souhaite la discussion. En ce qui me concerne, le professeur valaisan et le parent d’élèves allemand auraient pu se répandre dans la presse écrite et parlée pour contester l’opportunité des crucifix dans les écoles des cantons catholiques. Je vais jusqu’à admettre que des fondamentalistes hindous déclarent publiquement que «ce qui est écrit [dans la Bible et le Coran] est mauvais, faux et provoque des cauchemars chez les petits», même si je n’ai pas souvenir d’avoir été traumatisée par ma fréquentation assidue de l’école du dimanche. Tous ces gens ont le droit de dire ce qu’ils pensent, à condition de concéder à leurs adversaires celui d’en faire autant et de ne pas se livrer à des actes de coercition ou de vandalisme, c’est-à-dire de ne pas essayer d’imposer leur point de vue par la force.

Monsieur Valentin Abgottspon a profité de sa fonction pour imposer ses convictions à ses élèves, ce qui ne pouvait plaire à l’Etat du Valais, son employeur, lequel l’a licencié. Monsieur David Schlesinger a voulu imposer ses vues à une commune catholique lucernoise par des arguments juridiques, puis, quand les mesures prises pour lui donner au moins partiellement satisfaction lui ont paru insuffisantes, par la menace d’un recours au Tribunal fédéral. Il s’est attiré ainsi l’ire des habitants d’une commune où il était établi depuis peu et qui ont considéré que le nouveau venu n’avait pas à leur dicter leur conduite. Monsieur Patrick Bussard et Messieurs les hindous ont commis ou projeté des actes de vandalisme dont il est douteux qu’on puisse les assimiler à l’enrichissement d’un quelconque débat ni à une légitime manifestation de liberté personnelle.

Un des clichés favoris des démocrates prétend que la liberté d’un individu s’arrête là où commence celle des autres. En d’autre termes, personne n’a le droit d’empêcher autrui de croire, de penser, de s’exprimer librement. Je serais assez d’accord avec cet aphorisme si ceux qui le professent voulaient bien l’appliquer autrement qu’à leur usage exclusif. Or l’expérience m’a appris que c’est toujours ma liberté qui s’arrête là où commence celle des autres et jamais le contraire. C’est apparemment le lot des non-conformistes. Les libres penseurs qui, contrairement à ce qu’ils imaginent, ne sont pas des non-conformistes, considèrent, eux, manifestement, que leur liberté ne s’arrête nulle part et surtout pas là où commence celle de ceux qui pensent autrement qu’eux.

Je rappellerai, pour conclure, que Monsieur Schlesinger et les fondamentalistes hindous ont tout loisir de retourner chez eux pour y faire décrocher des crucifix ou brûler les livres saints des autres religions.

Je leur souhaite un bon retour dans leurs foyers.

Mariette Paschoud

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