Réflexions à l’heure du couvre-feu
Interdit! Interdit! Interdit! C’est écrit un peu partout dans cette petite ville charmante, pas loin de la Suisse; une petite ville de cette Europe qui se dit libérale, où tout ce qui était autrefois anormal et inconvenant est devenu permis et même recommandé, et où tout ce qui était autrefois courant et naturel est devenu interdit.
Par exemple, si vous parquez votre véhicule dans le parking de votre hôtel dans le centre historique de cette petite ville, il vous est interdit de repartir après 21h30 – «pour la tranquillité des habitants». Ici en Suisse, des communes de plus en plus nombreuses vous font rouler au pas dès 22h00, parce que leur population fragile souffre du bruit. Là-bas, pour les mêmes raisons, vous êtes prisonnier de votre hôtel dès 21h30.
En réalité, lorsque nous flânons dans la vieille ville, nous constatons qu’à 20h30 déjà on n’entend plus un bruit. Les rues piétonnes, avec leurs espaces de «convivialité», sont mystérieusement désertes. Il règne un silence de mort. La population a tellement intériorisé les interdictions qu’elle les anticipe; elle s’impose de son plein gré les restrictions de liberté que les autorités n’ont pas encore promulguées.
En déambulant ainsi en silence dans le périmètre qui nous est assigné, nous en venons à méditer sur l’obsession de notre société moderne à refuser la vie et à rechercher la mort. Cela se perçoit dans les dogmes de l’avortement (Pensez à la planète, évitez de naître!) et de l’euthanasie (Pensez aux autres, dépêchez-vous de mourir!). Mais pour nous qui avons la chance de nous trouver entre les deux, ce n’est pas mieux: on nous demande de vivre le moins possible, le plus silencieusement possible, selon des horaires limités et sur une surface réduite, en craignant tout ce qui pourrait nous arriver et en nous repentant de tout le tort que notre seule présence cause au monde. Il y a quatre ans, les scientifiques voulaient nous confiner, nous cryogéniser, nous vitrifier par peur que notre chemin croise celui d’un virus. Aujourd’hui, les mêmes scientifiques, la barbichette pointée vers le Progrès, nous promettent une vie plus saine si nous cessons sagement d’exister après 21h30, voire 20h30.
Quelle chance nous avons d’avoir, grâce à la science, une vie de plus en plus saine! Avec de moins en moins d’alcool, de moins en moins de tabac et de plus en plus de sport. De moins en moins de voitures polluantes et de moins en moins d’accidents (puisqu’on ne dépasse plus l’allure d’une limace estropiée). Et aussi de moins en moins de travail, de stress et de contrariétés, et maintenant de moins en moins de bruit. Le résultat de ce silence mortel est que nous semblons de plus en plus morts, mais que nous devrions au moins être des morts en parfaite santé, puisqu’on nous préserve de toutes les mauvaises influences de la vie.
Mais alors… comment expliquer que les coûts de la santé explosent? Que les cabinets des psychologues ne désemplissent pas? Que la consommation de médicaments n’ait jamais été aussi élevée? Il y a là un mystère insondable.
Pollux
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