Le grand rouquin avec une maison blanche et un péril jaune

On peut être volontiers «antisystème», légèrement complotiste, naturellement climatosceptique, instinctivement conservateur et raisonnablement protectionniste… et, malgré tout ça, ne pas éprouver une admiration vibrante et spontanée à l’égard du quarante-septième président des Etats-Unis d’Amérique. Il est plutôt grossier et mal éduqué, baratine ses électeurs et manque cruellement de cette «classe» impressionnante qu’on trouve chez d’autres chefs d’Etats superpuissants. Au fond, ce qui est véritablement sympathique chez M. Donald Trump, c’est surtout la rage trépignante qu’il suscite chez les journalistes et politiciens bien-pensants – qui ne sont assurément pas nos amis sans pour autant que leur ennemi juré soit forcément notre ami.

Il a prétendu qu’il pouvait arrêter la guerre d’Ukraine en vingt-quatre heures (et chacun a voulu en déduire qu’il le voulait aussi). Comme son investiture est prévue pour le 20 janvier 2025, nous attendons avec intérêt de voir ce qui se passera le 21, et s’il parviendra à convaincre des protagonistes dont aucun ne désire aujourd’hui cesser les combats. On dit que son élection a été organisée en coulisse par les Russes, mais on ne parvient pas à le prouver. Et le président Poutine a laissé entendre qu’il préférerait un adversaire plus prévisible.

A supposer que M. Trump soit pro-russe, ou tout au moins qu’il ne soit pas antirusse, il semble en revanche admis par la plupart des commentateurs qu’il n’est pas et ne sera pas un ami de la Chine. Alors que l’affrontement entre les Etats-Unis et la Russie est directement géostratégique et militaire, la rivalité avec la Chine est d’abord commerciale et économique, le domaine économique étant précisément le référentiel préféré du nouveau président américain et la cible première de son programme électoral. Les conflits commerciaux font a priori moins de morts et de ruines que les missiles, mais ils peuvent tout de même, parfois, dégénérer en conflits militaires – en particulier lorsqu’une puissance établie se voit contestée par une puissance émergente, selon la théorie du «piège de Thucydide». Même si l’affrontement Chine-USA reste dans le domaine commercial, cela ne ramènera pas une ambiance cordiale et constructive sur la scène internationale, ni ne réconciliera le bloc occidental avec celui des BRICS.

Sur le continent européen, où l’on a toujours le réflexe de coller aux basques de l’oncle Sam, on a par moment l’impression que la russophobie de masse s’apprête à être rangée dans un «dossier classé», qu’elle a fait son temps et qu’elle doit céder la place à une sinophobie un peu plus subtile mais aussi plus profonde et plus universelle, où même les trublions trumpiens, qui aiment s’exclamer «Vive Poutine!», ne pourront réfréner une sourde méfiance à l’égard du Péril jaune. Les experts en multiculturalité et en ouverture aux autres n’y trouveront rien à redire, car les Chinois, c’est bien connu, sont tous des espions. N’est-ce pas le message que la presse nous fait passer avec l’histoire de cette famille chinoise séjournant illégalement en Suisse et qui avait repris l’exploitation d’une auberge jouxtant l’aérodrome militaire de Meiringen, avant de se faire expulser de Suisse manu militari parce que les services secrets suisses et surtout américains la soupçonnaient de travailler pour le gouvernement de Pékin? Des super-espions qui n’avaient même pas réussi à se procurer un titre de séjour valable, c’est bien la preuve qu’ils sont bêtes en plus d’être sournois!

Peut-être étaient-ce vraiment des espions maladroits, et il est par ailleurs difficile d’établir des liens entre tout ce dont nous parlons. En attendant, le soupçon est lâché dans le public, où il va se répandre rapidement: jaune égale pas gentil, mandarin égale vilain.

Pour en revenir à M. Donald Trump, il n’est pas certain que sa présidence soit pacifique à l’égard de l’ensemble du continent eurasiatique – alors que cette Eurasie immense, aussi bien russe que chinoise, représente le «rêve patagon» de tout Européen qui se respecte. Donc: méfiance, méfiance, méfiance.

Pollux

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