Nigauds de droite
Au lendemain du «dimanche noir» de décembre 1992, où une petite majorité de citoyens suisses avait rejeté l’adhésion à l’Espace économique européen, les journaux romands regorgeaient de dessins de presse aigres et méchants, se moquant d’une Suisse isolée, arriérée, étriquée, rabougrie, ridiculement réfractaire face à l’avenir radieux.
Au lendemain du dimanche noir de novembre 2024, où une petite majorité de citoyens suisses a rejeté l’adaptation de plusieurs tronçons d’autoroutes congestionnés, la presse n’a rien publié de tel. Aucune caricature acide d’une Suisse terrorisée par quelques travaux de génie civil, d’une Suisse «repliée» sur des infrastructures routières d’il y a soixante ans et se préparant à revenir à l’ère des carrioles tractées par des chevaux. Au contraire, les journalistes peinaient à masquer leur satisfaction face à un vote symbolisant le Progrès écoresponsable, l’avenir radieux de la décroissance (de la presse romande?) et la fin d’une Suisse trop traditionnellement attachée à la mobilité individuelle.
Cette différence de traitement, avec cet adoubement compromettant de la presse bien-pensante dans le second cas, devrait suffire à tarauder de honte tous les nigauds qui se croient de droite et patriotes, mais qui ont voté «écolo» parce qu’ils ne veulent pas d’une Suisse à dix millions d’habitants et préfèrent rêver de celle de 1960 (celle-là même, précisément, pour laquelle on avait alors décidé de construire des autoroutes!). Ces braves Suisses ont fait le jeu des idéologues verts, qui ne permettront jamais le retour de la Suisse de 1960 et nous imposeront au contraire de vivre dans un pays surpeuplé où nous serons obligés de nous loger dans des écoquartiers «densifiés», infestés de potagers urbains et de vélos-cargos, avec recommandation de ne pas nous éloigner afin de réduire notre empreinte carbone.
L’enjeu réel du vote sur les autoroutes ne se limitait pas aux six tronçons indiqués, mais s’étendait aussi à de nombreux autres travaux routiers nécessaires dans l’ensemble de la Suisse… qu’on n’osera plus entreprendre durant ces prochaines décennies face aux menaces de la gauche. L’enjeu du vote sur les autoroutes portait sur notre liberté de mouvement, et en particulier sur notre liberté de nous évader des villes et de leur atmosphère dégénérée.
L’échec de ce vote est à mettre sur le compte des écologistes, opposés par principe à toute activité humaine; des socialistes, qui ne s’intéressent plus aux travailleurs ni au prolétariat; mais aussi de ce «premier parti de Suisse» qui, obsédé par des réflexes électoralistes, n’hésite plus à pencher à gauche lorsque cela flatte une partie de ses électeurs et, à tout le moins, craint de se mobiliser clairement s’il n’est pas sûr d’être suivi par tous ses membres.
Les pays capables aujourd’hui de nous faire rêver (comme pouvait nous faire rêver la Suisse de 1960) sont ceux qui savent combiner un sain conservatisme en matière de mœurs et de structures politiques et sociales, et une confiance raisonnable (voire passionnée) dans le progrès lorsqu’il s’agit par exemple d’infrastructures de transport, de techniques de communication ou de production d’énergie. Sans cela, on se condamne à rester une réserve naturelle, un musée en plein air, un sarcophage douillet où plus personne n’a la «soif de vivre»; une société faible qui tôt ou tard risque de finir balayée par les hurluberlus qui prônent exactement l’inverse, à savoir la révolution débridée des mœurs et la fossilisation culpabilisante de notre environnement matériel et technique.
Pollux
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