Fraîche et joyeuse

L’Ukraine est en guerre, dépecée par l’armée russe. La Russie, en retour, est aussi en guerre, durement touchée par des attaques ukrainiennes. Gaza est en ruines, détruite par l’armée israélienne. Le Yémen est à feu et à sang, visé régulièrement par les missiles israéliens et américains. A l’heure où nous écrivons, l’Iran est aussi attaqué par l’armée israélienne (avec la bénédiction des Etats-Unis, qui, à défaut de pouvoir vaincre la Russie en Ukraine, semblent orchestrer désormais l’anéantissement des alliés de Moscou au Proche-Orient: la Syrie il y a quelques mois, l’Iran aujourd’hui). Israël, forcément, est aussi en état de guerre, recevant en retour des roquettes palestiniennes et des missiles yéménites et iraniens. A ces conflits qui esquissent une nouvelle guerre mondiale s’ajoutent des affrontements régionaux inter- ou intraétatiques, entre l’Inde et le Pakistan, en Amérique du Sud, en Afrique. Les pays auxquels l’Occident a enfin réussi à apporter le Progrès, la Liberté et la Démocratie – l’Irak, la Libye – ont sombré dans la violence et le chaos. Violence et chaos également dans un nombre croissant de villes occidentales, lorsque les immigrés et ceux qui les soutiennent mènent de véritables guérillas contre les forces de l’ordre; ou lorsque les immigrés et les forces de l’ordre qui les soutiennent se lancent dans la répression des populations autochtones récalcitrantes (en Grande-Bretagne, en Irlande); mais aussi et surtout lorsque les ressortissants ou les sympathisants de tel ou tel pays en guerre, ou les agitateurs qui récupèrent la cause palestinienne, descendent dans la rue pour affronter le «camp d’en face» avec de plus en plus de violence et de méchanceté.

Voilà, en résumé, comment se présente le monde actuel, à l’heure de l’amitié entre les peuples et de la communication bienveillante.

Les personnes ayant un minimum de maturité comprennent que, pour la Suisse, la seule voie raisonnable est de se tenir à l’écart de tous ces conflits, d’abord pour préserver sa sécurité extérieure, ensuite pour maintenir sa paix intérieure en évitant d’exacerber les divisions de sa population, et enfin pour pouvoir offrir ses services dans le monde, là où c’est possible, dans l’espoir d’apaiser ce qui peut être apaisé. Même si l’on éprouve à titre personnel beaucoup de sympathie pour certains belligérants, ou au contraire une antipathie viscérale pour d’autres, si l’on espère que les uns se réconcilieront et que les autres achèveront de s’entre-écrabouiller, on comprend malgré tout que les autorités helvétiques ne devraient pas s’en mêler.

Hélas, les personnes ayant un minimum de maturité ne représentent qu’une partie infime, confidentielle, inaudible de notre population. Et, à coup sûr, cela n’inclut pas les professionnels de la grande presse, post-adolescents attardés et gavés de films américains, de jeux vidéo et de militantisme gauchiste, qui, tout en sélectionnant les images horribles qui vont «faire vendre», se présentent comme des autorités morales chargées de dire le Bien et le Mal, de désigner les gentils et les méchants et de vouer aux gémonies ceux qui ne s’engagent pas à leurs côtés. Si vous n’êtes pas avec nous, c’est donc que vous êtes contre le Bien!

Pour le journaliste moyen, la cause est entendue: la Suisse doit permettre que ses armes soient livrées à l’Ukraine (leitmotiv surtout en Suisse alémanique) et les politiciens de tout bord doivent condamner Israël et manifester bruyamment pour Gaza (leitmotiv surtout en Suisse romande). L’idée même de la neutralité, du choix de la paix plutôt que de la guerre fraîche et joyeuse, répugne à l’éditorialiste bien-pensant. La virulence et la suffisance avec lesquelles le journal Le Temps a récemment morigéné notre conseiller fédéral en charge des affaires étrangères, pour ne prendre que ce seul exemple, montre l’immaturité intellectuelle des gens qui prétendent façonner l’opinion publique.

Nous entendons dire que la presse suisse se porte mal, qu’elle est lâchée par les annonceurs, évincée par l’intelligence artificielle, qu’elle perd de son audience, en particulier chez les jeunes, qui se tournent désormais vers une nouvelle génération d’influenceurs. Nous savons que nous ne devrions pas nous réjouir du malheur des autres. Mais tout de même…

Pollux

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