Quand la politique utilise l’armée comme chausse-pied
Ces dernières années, notre armée de milice a subi de nombreuses transformations caractérisées par une suite de réformes lancées par le monde politique. Bien sûr, l’ambiance générale en Europe était gouvernée par l’idée folle d’une paix de mille ans. En novembre 1990 s’était tenue une conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Une charte de Paris fondait les bases d’une nouvelle ère de démocratie, de paix et de coopération. Immédiatement après, les politiciens lancèrent la réforme Armée 95 avec quatre cent mille hommes. Considérée comme trop coûteuse, elle ouvrait la voie à Armée 21. Une sensible différence, car on passait d’une armée d’instruction à une armée de projection. Une réforme doctrinale majeure, car on expliquait qu’on détruisait une armée de masse (et la notion de masse est un des principes fondamentaux de la guerre) au profit d’une armée que l’on disait être capable d’agir réellement, rapidement et efficacement à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. Quelque chose de jamais vu, moderne, adapté aux exigences économiques. Immanquablement, en se dirigeant vers cette nouvelle armée, on pouvait lire dans le rétroviseur le mot neutralité. Le monde politique, composé de gens qui avaient de moins en moins l’expérience du service militaire, visait ce que l’on voit aujourd’hui: une foutue débandade!
Ces réformes voyaient donc toute l’infrastructure et l’équipement de cette armée nombreuse être démontés. Un immense gaspillage fut entrepris avec les ventes à vil prix de tout ce que la troupe utilisait, des distributions d’engins neufs de tous types à travers le monde et des éliminations de centaines de véhicules blindés (M113 Kwest, M109), dont certains étaient encore intacts. Remplissage de chars Léopard 2 de béton pour servir d’objet de dépannage. Remise à des aéroports en guerre des magnifiques grues Gottwald. Des destructions et un bradage général qui, aujourd’hui encore, est révélé dans une indifférence quasi générale. Pire, les partis que l’on pensait avoir encore une idée claire sur le problème de la défense votaient au Parlement, sans sourciller, les réductions, les destructions, l’abandon de tout ce que le pays avait organisé pour assurer sa sécurité.
N’hésitons pas à montrer du doigt, ici, le PLR et le Centre (PDC).
Hélas pour ces bisounours, cette vision d’une paix pour mille ans se voit aujourd’hui contredite par les faits. Dans les arrière-boutiques des partis politiques, on commence à s’inquiéter. Dans les années 1990, les relations avec l’Union européenne furent dénoncées par le peuple suisse au travers d’un référendum en 1992. S’en suivirent une série d’accords bilatéraux qui calmèrent les esprits des représentants de l’organisation faîtière de l’économie suisse.
Simultanément, dans le monde politique, le sujet «armée» avait passé au bas de la pile de dossiers, à la satisfaction de tous les partis à l’exception de l’UDC (ou au moins d’une partie de ses membres). Le renouvellement des équipements et l’acquisition d’armes furent suspendus. On continua à expliquer qu’en cas de crise on recourrait à l’«Aufwuchs». Malgré l’alarme de quelques-uns, le monde politique, aveuglé par une rhétorique pacifiste et gouverné par une idéologie trotskyste, admettait des lacunes graves dans l’équipement des troupes. Encore récemment, on vendait à vil prix des chars Léopard 2. L’argument passe-partout de la guerre hybride, de la cyber-guerre et du terrorisme pollua et continue encore à saturer le discours au détriment de la guerre, la vraie!
Le résultat nous amène aujourd’hui à ne plus pouvoir, objectivement, demander à l’armée d’assurer la sécurité du pays. Les troupes disposent d’un matériel en nombre insuffisant, d'armes non modernisées, aussi en nombre insuffisant. Tout au plus, on se commande un avion super moderne, pas encore parvenu à son stade de développement ultime. Un frappant décalage avec ce que l’on a sur terre.
Consécutivement à la guerre d’Ukraine, inquiets de ces développements, ces mêmes partis en appellent aujourd’hui au parapluie otanien. Se moquant des textes de la Constitution fédérale, on développe de grandes argumentations proposant une violation graduée de la neutralité.
On va coopérer avec l’OTAN. Derrière cette opération se profile déjà l’Union européenne. Une organisation politique a-démocratique avec ses moulinets guerriers contre la Russie. On va coopérer, et on fait comme eux pour gagner du temps en cas de guerre. On n’a plus de places d’exercice, alors on va s’entraîner à l’étranger. On fait avec, on se prépare comme si on en faisait déjà partie.
Oh, pour le bon peuple qui s’alarme de ce qu’il entend ou voit, on le rassure. Dans la vitrine médiatique, on parle toujours de «neutralité», d’«indépendance», etc. Dans l’arrière-boutique fédérale, on vous prépare autre chose, mais on le cache. Avec grands sourires et embrassades, on signe des petits traités pour assurer faire avec nos voisins. Par exemple, on se met avec d’autres pour assurer la protection aérienne (Skyshield). La Suisse neutre laissera désormais passer les troupes étrangères à travers son territoire. Bon, si elles s’y arrêtent, ce ne sera pas grave: on coopère avec elles.
On nous cache la copie comme le font les mauvais élèves qui ne veulent pas montrer leur incompétence. Voyez aussi les mille huit cents pages du traité avec l’Union européenne, annoncé avec les grands sourires de l’ex-conseillère fédérale Amherd et de sa copine van der Leyen à la fin de l’an passé!
En fait, nous observons bien! Ces politiciens utilisent l’armée et la défense de la Suisse comme un bon chausse-pied pour forcer le pays à entrer dans ce magma bureaucratique et autocratique. La manœuvre devient claire. Le peuple suisse ne veut pas se mettre avec le machin européen? Grâce à l’armée, qui est devenue squelettique, on va le forcer à admettre, pour ses évidents besoins de sécurité, l’OTAN et, surtout, cette fabuleuse et prometteuse Union européenne.
En termes tactiques, on appelle ça une approche oblique, une tactique militaire célèbre mise en place par Frédéric le Grand.
Au-delà de cette opération de politique étalée sur le temps long, il nous faut aussi comprendre que, pour le monde politique actuel, on ne comprend pas ce que veut dire puissance. Malheureusement, la prééminence du pouvoir économique, dont on pense aujourd’hui que c’est la bonne arme pour répondre à la Russie, se trouve contredite de façon éclatante. Personne ne semble avoir lu Thucydide ou relu les livres d’histoire pour comprendre, comme dans une cour d’école, que le riche malingre est susceptible de se faire shooter par un gros balaise qui ne manquera pas de lui faire les poches, d’ailleurs.
Autrefois, même l’Allemagne hitlérienne avait du respect pour le petit balaise qu’était la Suisse. Aujourd’hui, on le comprend bien, nous ne sommes plus le petit musclé mais le malingre bien habillé qui rase les murs et a la trouille de se faire enfermer dans les toilettes jusqu’à ce qu’il donne ses beaux vêtements.
Dramatique situation, qui risque bien de nous coûter très, très cher!
François Villard
Thèmes associés: Armée - Politique fédérale - Politique internationale
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