Promenons-nous dans les bois

PolluxLe Pamphlet n° 547 Septembre 2025

Laissons de côté, pour une fois, l’hypocrisie insolente de la scène internationale et de ses guerres «justes» et «injustes», l’abjection révoltante de la presse et des journalistes qui prônent le chaos social, les effets destructeurs de l’idéologie moderne, qui rend notre quotidien irrespirable, les angoisses irrationnelles qui poussent l’Occident à s’automutiler. Nous avons de la matière pour y revenir dans de prochaines éditions. Contentons-nous de constater aujourd’hui, en pleine nature, l’affligeante médiocrité de notre société.

Le bois de Vernand, au nord de Lausanne, est traversé de multiples chemins forestiers très calmes, qui permettent notamment de rejoindre Cheseaux. Lorsque vous vous promenez sur l’un de ces chemins, dûment signalé sur les cartes topographiques et balisé par un écriteau jaune «tourisme pédestre», vous apercevez soudainement un panneau rouge et blanc «zone de tir, passage interdit». Le panneau n’est pas mobile; il est solidement fixé. Pourtant, il est à moitié masqué par la végétation. Le texte en français a été barbouillé de peinture noire, de sorte que vous ne saisissez le message que si vous comprenez l’allemand ou l’italien. Cette interdiction de passage, apparemment permanente, semble incohérente sur ce chemin pédestre recouvert de gravier, parfaitement entretenu, aucunement barré ou fermé, seulement flanqué de l’inquiétant panneau.

C’est l’été et on est encore loin de la saison de la chasse. Vous n’imaginez pas l’armée procéder à des tirs d’artillerie aux abords d’une grande ville. Après un certain temps de réflexion, vous comprenez que vous êtes à proximité du stand de Vernand, où de nombreux tireurs vont s’exercer ou accomplir leurs obligations militaires. Quelques centaines de mètres de forêt vous en séparent. Il est vrai qu’une balle perdue, tirée au-dessus des cibles, pourrait se faufiler entre les arbres et finir sa course sur votre chemin.

C’est alors que vous réalisez l’absurdité de la situation. S’il y avait un véritable danger, il faudrait barrer le chemin, avec une vraie barrière, et ne pas se contenter d’un simple écriteau à moitié visible et à moitié lisible, qui ne suffit pas à dissuader le promeneur de poursuivre sa route ni à le convaincre de revenir sur ses pas. Il faudrait aussi que les cartes signalent la fermeture du chemin et que les indications de tourisme pédestre s’en détournent. Or le dispositif n’est pas conçu ainsi et cela signifie forcément que le danger est relativement faible; que le risque, sans être nul, reste modéré. Sinon, pourquoi le chemin n’est-il pas barré?

Le dispositif n’est pas conçu pour empêcher un accident, mais plutôt – c’est ce que nous supposons – pour permettre à la collectivité publique compétente de décliner toute responsabilité en cas d’accident, d’être «couverte» vis-à-vis de la loi. Encore que… Le jour où une balle perdue, après avoir zigzagué entre les troncs d’arbres, viendra transpercer la boîte crânienne d’un joggeur ou d’un cycliste, les avocats auront beau jeu de faire valoir la responsabilité d’une collectivité publique qui non seulement n’a pas pris toutes les précautions (le chemin n’est pas barré), mais a aussi laissé certains écriteaux être à moitié masqués par la végétation, ou rendus illisibles par des graffitis.

Se contenter d’un avertissement et laisser les promeneurs assumer leur propre responsabilité, ce n’est pas une mauvaise solution. Mais alors pourquoi ne pas le dire franchement? L’écriteau pourrait être libellé ainsi: «Stand de tir à 450 mètres, danger subsidiaire de balles perdues, nous déclinons toute responsabilité en cas d’accident.» On ajouterait éventuellement – si l’on veut faire les choses soigneusement et ne pas décourager la marche en forêt – la mention d’un site internet indiquant les horaires de tirs et les heures «sans risque».

Mais on n’a pas fait les choses soigneusement. On a renoncé à renforcer le terrain par un petit monticule de terre, par exemple. On a renoncé à une mesure radicale qui aurait consisté à barrer le chemin. On s’est contenté de placer un écriteau indiquant une interdiction de passer, interdiction qui apparaît absurde au promeneur moyen et que personne ne respecte ni ne fait respecter.

Tout en continuant de marcher dans la forêt, vous vous demandez si votre jugement n’est pas trop sévère. Mais non. Cette situation apparemment anodine est révélatrice d’un manque de soin, d’une incapacité à se poser les bonnes questions et à y répondre intelligemment. Elle illustre la médiocrité de notre société.

Pollux

Thèmes associés: Humeur - Société

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