Accepter ou non une e-ID fédérale?

Le 28 septembre prochain, il faudra dire oui ou non à la nouvelle loi sur l’identité numérique que la Confédération a l’intention de fournir à tous les habitants du pays et aux citoyens suisses à l’étranger.

Admettons d’emblée que cette identité est de la meilleure qualité et sécurité pensable et possible en l’état de la technique. Même si c’est discutable, ce n’est pas le sujet.

Elle ne sera pas obligatoire, tout comme la supercard de Coop, la Cumulus de Migros, la SwissID de la Poste ou le SwissPass des CFF, une carte de fidélité chez Swiss ou Pegasus, ou un compte chez Google, Amazon ou ChatGPT. Il n’est pas non plus obligatoire d’accepter les cookies et autres caches qui sont déployés à l’ouverture d’une quelconque page sur le Web. Nous sommes tous libres de renoncer à ces marchés et à ces échanges; il suffit de ne pas cliquer «oui» et d’en subir les conséquences: une encyclopédie d’une autre ère suffit pour nous informer; si notre compte est convenablement rempli, pour trente centimes par opération, notre banque sera enchantée de scanner les QR-codes de nos factures à notre place; un ordre de bourse ou d’autres commandes peuvent être passés par téléphone, filaire de préférence. La votation n’est pas à ce propos.

Nous nous sommes vite habitués à ces facilités et autres avantages. Sans ignorer la part de produit que nous représentons pour ces œuvres de marketing, nous sommes devenus dépendants de ces drogues virtuelles, plus ou moins dures selon les usages. La vérité est que nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du chantage généralisé: ce que tu désires t’est accessible si tu acceptes de te découvrir et de livrer des données personnelles qui pourront être utilisées à l’envi du récipiendaire, comme l’indiquent les notes explicatives que personne ne lit. Tous ces consentements sont léonins, idiots et pas vraiment éclairés. Aucune loi ou institution ne peut garantir que l’utilisation de nos données ne sera pas malicieuse. Chacune et chacun les livre sans vergogne afin d’obtenir un service en retour ou, tout simplement, de faire un achat en ligne. Je ne sais pas comment survivent les derniers Mohicans qui s’en empêchent absolument. Une identification officielle et fédérale n’en est qu’une de plus, elle supprimerait même le besoin de quelques autres, sans vraiment rien changer de fondamental.

En matière d’intervention sur la place publique, ce qu’offrent les forums internet auxquels nous nous abonnons et où, éventuellement, nous intervenons, je suis un ardent défendeur du visage découvert et pourfendeur de l’anonymat. Une identification claire et limpide de chaque interlocuteur est une garantie de civilité, vous savez, ces manières surannées de s’entretenir poliment avec d’autres gens. Lesdites plateformes n’en veulent pas car la probabilité est proche de la certitude que les volumes d’échanges, et donc de clicks, diminueraient de manière spectaculaire. Une identification sans équivoque, comme il est promis avec l’e‑ID, en serait l’indispensable cerbère, protection des mineurs comprise. Mais ce n’est pas non plus le sujet.

Dans la brochure explicative de cette votation il est dit qu’aucune information superflue ne serait transmise lors de la vérification de l’identité. Pourtant on sait que telles promesses peuvent être invalidées par d’obscurs algorithmes et que ces derniers sont toujours piratables. Même inscrite dans une loi, l’interdiction d’un usage exagéré ou malintentionné de l’e-ID n’est donc que verbale. Je ne doute pas que, dans un premier temps, nos pléthoriques administration fédérales ou cantonales s’interdiront d’effectuer des connexions de données personnelles, notre numéro fiscal n’est pas encore notre numéro AVS. Par exemple, nos habitudes de voyage et de consommation ne peuvent pas encore servir à un algorithme pour nous débiter du carbone d’un budget qu’un autre algorithme nous aurait alloué.  Ça, c’est pour demain, tout comme la modulation de la prime d’assurance maladie selon le nombre de pas et de marches d’escaliers franchis quotidiennement. De tels profilages et flicages sont exclus, ce qui n’empêche ni les comploteurs d’en avoir envie, ni les complotistes de craindre que cela advienne.

C’est donc bien là le sujet. Notre carte d’identité, notre permis de conduire ou notre carnet de vaccination sont dans notre poche et pas dans celles des autres, à moins que, obéissant à un chantage, on en ait transmis une copie «confidentielle» à notre banque, à la gérance de notre appartement ou à d’autres prestataires de service. L’e-ID serait fédérale, en mains de fonctionnaires et informaticiens non assermentés, cela devrait-il faire plus peur que ce qui est d’ores et déjà en place chez un alibaba chinois? et comme c’est suisse, ça doit être plus que parfait, c’est pourquoi il y a référendum. La moindre imperfection, et il y en aura, devrait-elle invalider le tout? appliquer un principe de précaution qui obligerait à y renoncer, définitivement?

Au vu des exemples mentionnés plus haut et des dérives dans lesquelles nous nous laissons tous entraîner par ignorance ou avidité, refuser l’e-ID apparaît comme incohérent. Il est certain que cela incitera les innombrables agents du «pour votre bien» d’introduire de nouvelles coercitions et mises au pilori. Mais de là à ce que les données d’usage d’une identité se voient croisées avec d’autre aléas de notre vie privée et publique, il y a encore un large pas que nos institutions démocratiques nous permettront de ne pas franchir. Donnant un timide oui à cette loi, il faudra donc rester très vigilants. Et si c’est non, des alternatives moins bienveillantes se chargent déjà de notre identification.

Michel de Rougemont

https://blog.mr-int.ch

Thèmes associés: Politique fédérale

Cet article a été vu 131 fois

Recherche des articles

:

Recherche des éditions