Editorial

De Tunisie ou d’Egypte nous parviennent les images de foules en liesse, qui célèbrent bruyamment l’avènement de la démocratie.

Les manifestants ont des excuses: aucun pays d’Afrique n’a jamais connu de régime réellement démocratique et les imbéciles qui dansaient sur la place Tahrir devaient supposer que la démocratie est une sorte d’Eden terrestre, où les richesses coulent sans contrepartie dans les poches de chacun, et où le droit d’exprimer son avis est un gage de prospérité matérielle, de stabilité politique et de progrès social.

Les Tunisiens et les Egyptiens qui ne sont jamais sortis de chez eux peuvent croire à de telles bêtises, mais pas les commentateurs occidentaux, qui n’ont pourtant pas manqué de célébrer, eux aussi, les avancées civilisatrices de l’entrée en démocratie.

C’est évidemment le contraire qui est vrai, et les malheureux habitants d’Afrique du Nord ne vont pas tarder à s’en aviser. Les deux semaines de révolution ont déjà provoqué une perte d’un milliard d’euros par jour pour le tourisme égyptien. La saison est fichue. Les dégâts collatéraux sont inestimables.

Les nouvelles démocraties vont payer leur liberté retrouvée d’un plongeon dans l’anarchie et la misère. Malheureux accident d’un processus qui aurait dû susciter, logiquement, bien-être, pluralisme, libertés? Mais non! Conséquence logique d’un système qui n’a jamais fonctionné en Afrique et rarement ailleurs.

Les gouvernements européens hypocrites se félicitent aujourd’hui du départ de MM. Ben Ali et Hosni Moubarak en découvrant tout à coup que ces chefs d’Etat s’étaient personnellement enrichis pendant leur trois décennies de pouvoir. On gèle leurs comptes bancaires avant même d’avoir reçu la moindre requête à ce sujet. Les mêmes gouvernements ne sont pas gênés de poursuivre leurs relations amicales avec tous les autres potentats. Les croit-on désintéressés? soucieux des droits humains? respectueux du verdict des urnes?

Sans doute pas, mais ils représentent au moins la stabilité et la pérennité des Etats qu’ils dirigent, et ce n’est pas un mince mérite. Les Français étaient probablement plus libres sous Louis XVI que sous Sarkozy, les Perses plus heureux du temps du Shah que sous Khomeiny.

Doit-on pour autant justifier des dictatures, la corruption généralisée, l’incarcération des opposants et l’abolition des libertés individuelles?

Sans doute non. Mais ni les périodes révolutionnaires ni les régimes qui en sont issus n’ont brillé par leur respects des libertés individuelles. Les partisans de Moubarak ne risquent pas d’être mieux traités demain que ses adversaires ne l’ont été hier. On rappellera aussi que les dictatures africaines ne sont pas les seuls régimes à incarcérer leurs opposants pour délits d’opinion. En Allemagne, en France, en Suisse même, des citoyens fort honorables ont été emprisonnés ou sont toujours en prison pour avoir tenu des propos déplaisants pour les puissants lobbies dont les politiques sont les laquais. Sommes-nous les mieux placés pour donner des leçons de respect des droits fondamentaux aux potentats maghrébins?

Ce qui frappe, dans les commentaires, c’est l’absence de perspective: personne n’allègue que le départ des chefs d’Etat chassés du pouvoir va permettre le développement économique, une hausse du PIB, une meilleure stabilité politique, la régression du chômage ou la baisse des impôts. Le seul bénéfice prévisible, pour les révolutionnaires amis de Facebook, c’est l’avènement de la démocratie!

Les Tunisiens regretteront Ben Ali et les Egyptiens vont pleurer Moubarak. Mais plus tard.

Claude Paschoud

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