Décadence

J’écris, ayant trouvé dans un bimensuel de droite, dans sa revue de presse, et traitant du «magistère de la télévision», cet extrait d’un article de Jean-Romain Putallaz, philosophe et écrivain, comme il tient à le préciser chaque fois: «A qui échoit la fonction d’inculquer les normes? A qui revient la tâche de dire le bien? A personne en particulier et à la télévision en général.»

J’appelle ce genre de critique, de la part de qui prétend à un niveau intellectuel supérieur, de la lâcheté et de l’hypocrisie, car il est lâche de s’en prendre à des personnes utilisant une position désertée par d’autres sans toujours avoir pleinement conscience du mal qu’elles font et, simultanément, d’épargner les principaux responsables de la chute de notre Occident dans ce que Jean-Romain Putallaz appelle «un flou où tout est interchangeable». A-t-on jamais lu sous sa plume d’écrivain et de philosophe, ne serait-ce qu’une seule et unique fois, un rappel de la doctrine de l’Eglise sur la liberté d’opinion, sur la liberté de la presse, sur la liberté religieuse? Non, jamais!

Cet écrivain-philosophe ignore sans doute aussi, dans son dédain de la règle d’objectivité, qui est une règle de justice dans l’analyse des causes historiques de la confusion intellectuelle et morale actuelle en Europe occidentale, la conclusion qu’en tirait jadis le pape Léon XIII dans son encyclique sur la liberté humaine: «Si vraiment, y écrivait-il en contradiction flagrante avec l’enseignement de Vatican II, la nature [avait conféré aux hommes le droit à la liberté de pensée, de la presse, de l’enseignement et des religions], on aurait le droit de se soustraire à la souveraineté de Dieu et nulle loi ne pourrait modérer la liberté humaine

Or c’est ce que pratiquent quotidiennement en particulier les journalistes de télévision. Qui le leur reprocherait puisque Vatican II a reconnu ces droits en parfait accord avec la modernité? Se plaindre de conséquences secondes tout en gardant un silence coupable sur la cause première de ces conséquences, le désaveu, par Vatican II, de tous les avertissements antimodernes de l’Eglise, c’est, je le répète à la fois lâche et hypocrite.

Jean-Romain Putallaz, comme son frère François-Xavier d’ailleurs, est davantage soucieux de soigner une image de soi qu’à aucun prix l’un et l’autre ne voudraient confondue, pour quelque motif que ce soit, avec ce que le monde appelle «l’extrémisme religieux» ou le fondamentalisme. En cela tout à fait conformes à leurs modèles de l’antiquité païenne, qui n’osaient, eux non plus affronter l’opinion religieuse commune, ils évitent de voir que ce genre d’ostracisme aujourd’hui relève du terrorisme intellectuel de la meilleure fabrique stalinienne… Quand l’esprit déserte le combat de la liberté, il donne volens nolens, sa caution à la servitude.

Eh bien, c’est cela la décadence! Lorsque ceux qui prétendent à la qualité d’élite, refusant d’assumer aucune responsabilité correspondant à leurs talents et à leur niveau d’intelligence et de culture, pour préserver leur confort matériel, pour soigner une réputation vaine, s’en prennent à des concierges de l’intelligence par pure vanité, par narcissisme, et, ne le taisons pas non plus, par opportunisme.

***

La première partie de l’émission de Temps Présent du jeudi 24 février dernier, consacrée aux salariés licenciés de leur entreprise pour avoir dénoncé des activités illicites, voire délictuelles, nous démontre l’existence d’une autre forme de décadence: le recours dans la vie juridique à l’hyperspécialisation dans l’analyse des contrats de travail, comme si, à chaque problème posé, il fallait combler un vide juridique! Cet état d’esprit est lié, lui aussi, au phénomène de la sécularisation: à force de séparer le droit de la morale, le droit tend lui-même à l’impuissance quand il s’agit de protéger les honnêtes gens…

Au cours de cette émission, la référence aux principes généraux du droit, pourtant inscrite dans notre code civil, fut totalement ignorée! L’article 2 est pourtant clair: «Chacun est tenu d’exercer ses droits et d’exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi.» Or le fait de résilier un contrat de travail au motif qu’une dénonciation a été faite par un employé salarié, si cette dénonciation est objectivement fondée, est déjà contraire à la loi existante dans le cadre de la protection du principe de la bonne foi. Le TF l’a même explicité dans sa jurisprudence2.

C’est simple comme bonjour! Il n’y a pas de quoi en faire une émission, sauf pour ceux qui ignorent les principes généraux du droit et travaillent à sa décadence…

Michel de Preux

1ATF 107 II 169 et JDT 1981 I 287.

Thèmes associés: Ethique - Religion

Cet article a été vu 3519 fois

Recherche des articles

:

Recherche des éditions