Affaire Strauss-Kahn: deux commentaires

Une approche sans entraves

    Voici les trois caractéristiques qu’énonçait le Père Calmel, O.P., dans ses considérations sur le détournement révolutionnaire de l’Evangile1: «Non pas remédier aux abus mais s’attaquer à la nature des choses; non pas faire aboutir des tendances nobles et généreuses et les sages aspirations au renouvellement, mais les confisquer au profit de la destruction et par là même les empoisonner; non pas dominer par une autorité visible, serait-elle tyrannique, mais réduire en esclavage par une autorité occulte, contre laquelle le recours est presque impossible, parce qu’elle ressemble à un poison répandu dans le tissu du corps social.»

    Nous retrouvons en un concentré saisissant tous ces éléments subversifs dans l’affaire qui passionne actuellement l’opinion publique occidentale: les démêlés de l’ancien directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn, avec la justice américaine pour une affaire de mœurs. Tous les grands moyens d’information s’en sont emparés avec un luxe de détails sans cesse renouvelé. Des considérations éthiques ou déontologiques, je ne retiens absolument rien. Si le mot de complot a été évoqué dans ce contexte, c’est essentiellement, à mon sens, comme un effet indirect d’une publicité voulue par la justice américaine elle-même, moins d’ailleurs pour des raisons morales que politiques et publicitaires: l’occasion était trop belle de mettre en évidence le souci égalitaire de cette justice dans une démocratie qui se veut mondialement exemplaire, où la défense à bon compte des petits et des faibles peut à cet égard jouer son rôle idéologique fort utilement. Tout ceci cadre parfaitement avec la défense de ce qu’on appelle «le politiquement correct»: DSK est moins là pour en faire les frais personnellement que pour en assurer la rediffusion opportune partout dans le monde. C’est en quelque sorte la bonne prise au bon moment, rien de plus.

Les leçons morales viennent d’ailleurs et n’ont pratiquement aucun rapport avec celles qu’énonce en permanence la presse occidentale: voyeurisme des prises de vue du prévenu à qui on vient de passer les menottes, atteinte à la présomption d’innocence par la répétition sur les écrans de télévision de cette prise de vue. Fadaises que tout cela! Les faits, pour l’essentiel, sont à la fois connus et déjà avoués par l’intéressé lui-même: il y a bel et bien eu actes de libertinage, consentis ou non, la justice le dira peut-être, mais là n’est pas l’essentiel comme nous l’allons voir. Car les actes de libertinage d’un grand de ce monde avec une personne de condition sociale plus que modeste et qui n’est en aucun cas son familier supposent par eux-mêmes, et hors des lieux de débauche reconnus, une violence présumée. Mais un autre signe confirme d’ores et déjà et sans aucune équivoque la véritable portée morale de ces actes rendus publics par la justice américaine: lors d’une audience où l’épouse du prévenu était présente, les deux conjoints ont échangé des sourires complices. Nous sommes là au cœur du véritable scandale. Madame Dominique Strauss-Kahn n’est manifestement pas une épouse outragée, publiquement humiliée. Non. C’est une épouse compréhensive que les incartades de son mari ne touchent pratiquement pas, mais uniquement le traitement que la justice américaine lui fait subir.

    Par un tel comportement, ce couple légitime le libertinage dans le cadre de la vie conjugale: c’est à la fois un témoignage de mépris envers l’employée du Sofitel mêlée à ce comportement et d’indifférence à l’égard de la justice américaine. Témoignage de mépris, car, vu l’écart considérable des conditions sociales des deux protagonistes, la question du libre consentement ne devrait pas se poser puisque cet écart des deux conditions sociales dans un milieu qui n’est pas par lui-même un milieu de débauche suffit amplement à établir de manière quasi certaine un rapport unilatéral de dépendance, rapport dont les deux parties avaient au demeurant une conscience aiguë au moment des faits. Témoignage d’indifférence envers la justice américaine ensuite dans la mesure où le choix de plaider non coupable opéré par le prévenu démontre que dans son esprit, compte tenu de sa position sociale, la liberté des mœurs est non seulement un droit subjectif mais un droit qui implique en soi l’adhésion quasi naturelle des membres des classes sociales jugées inférieures. Cet état d’esprit était fort courant dans le monde païen, lié à l’esclavage, avant le christianisme.

    Dans ces conditions, que l’on établisse juridiquement ou non le consentement de cette femme de chambre reste une question secondaire. Celle-ci demeure une victime morale indépendamment même des charges pénalement répréhensibles que pourrait retenir contre DSK le tribunal de New York dans cette affaire.

    Nous avons donc déjà, à notre connaissance, tous les éléments d’un comportement hautement subversif chez ce couple français connu: subversion de la notion même de fidélité conjugale et profanation publique de la dignité de cette sorte d’union; détournement, au préjudice des intérêts les plus légitimes de la victime, de la quête de respect de la personne humaine et de ses droits par la banalisation implicite et quasi frauduleuse du libertinage dans  le cadre même de la vie de couple et, enfin, dénaturation de ce qui  est censé faire l’autorité de la justice, puisque son intervention dans cette affaire n’est plus fondée essentiellement sur des valeurs morales établies, mais, plus cyniquement, sur un rapport de forces essentiellement financières entre le ministère public américain et le prévenu, avec pour finalité, dans l’esprit de ce dernier, la déstabilisation et le discrédit de celle qui ne peut se définir que comme une victime sociale absolument incapable par elle-même d’échapper à cette condition en l’occurrence doublement humiliante.

    Le socialisme à la française nous révèle  par là un visage aussi inattendu que révélateur: Dominique Strauss-Kahn est sans aucun doute l’homme qui, en France, incarne le mieux cette forme mondaine de subversion. Hélas, par cette affaire, la supercherie est décidément trop voyante. Mais dans l’esprit de ce couple, ne nous leurrons pas, et de tous ses compagnons de route politiques, ce procès américain n’est guère qu’un mésaventure judiciaire. A oublier le plus tôt possible…

    Quelle régression dans les mœurs et dans les esprits sous tant de prétextes idéologiques «progressistes»!

Michel de Preux

1 Annexe 5 de son livre Théologie de l’histoire, éd. Dominique Martin-Morin, Bouère (Mayenne), France, 1985, page 138.

Présomption d’innocence

«Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées», proclame l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, promulguée par l’ONU en 1948.

C’est ainsi que, jusqu’à la fin de son procès, M. Dominique Strauss-Kahn est présumé innocent des crimes dont on l’accuse, et donc, par voie de conséquence directe, qu’est présumée menteuse et affabulatrice la jeune femme de chambre d’origine africaine qui l’accuse.

Une présomption est, dans le langage courant,  un soupçon, une hypothèse, une supposition, une conjecture, une vraisemblance, une apparence, un indice. En droit, ce qui est présumé est considéré comme – provisoirement – établi, jusqu’à la démonstration du fait contraire. Le père de l’enfant est présumé être le mari de la mère. Une signature sur un document est présumée authentique. Un homme revêtu d’un uniforme de policier est présumé être un véritable policier.

Certaines harpies féministes sont montées aux barricades. Sans qu’on sache ce qui s’est réellement passé au Sofitel, elles ont conspué le prévenu aux cris de: «Honte à toi !» La présomption d’innocence de DSK leur paraît un déni de réalité. Elles réclament une présomption de véracité pour les accusations des femmes victimes de crimes sexuels.

Ce serait le retour à la barbarie. Dans un Etat fondé sur le droit, le prévenu n’a pas à prouver son innocence, c’est à l’accusation de prouver la réalité du crime et la culpabilité de l’accusé. Une preuve négative est généralement impossible à apporter. Pour une accusation de viol, et pour autant que des relations sexuelles soient admises, il sera pratiquement impossible, surtout plusieurs jours, voire plusieurs mois ou plusieurs années après les faits, de démontrer que la relation était imposée.

La manière dont l’ex-directeur du FMI a été traité (arrestation, menottes, incarcération) démontre qu’aux Etats-Unis, la plainte de la victime présumée n’a pas été traitée à la légère. Mme Diallo bénéficie non seulement de l’appui du procureur général, mais de l’assistance de plusieurs ténors du barreau et détectives, dont elle n’aura pas à payer les honoraires, soit que certains d’entre eux aient offert leurs services gratuitement, soit que leurs honoraires seront pris en charge par diverses associations.

En Europe, et singulièrement en France, dont le peuple a conservé des réflexes monarchistes, on a été abasourdi d’apprendre qu’un notable juif, riche et puissant – trois qualités qui devaient logiquement le placer au-dessus des lois communes – avait été exhibé devant la presse menotté, comme un violeur ordinaire.

Le principal intéressé en a été surpris lui-même. Il n’a pas tenté de fuir, puisqu’il ne se sentait coupable de rien. Pour un personnage comme lui, la femme de ménage black dans une suite à trois mille dollars la nuit fait partie du matériel de bienvenue, comme le shampooing ou la savonnette de la salle de bain. On prend, on utilise, on jette. Il est un digne descendant des grands armateurs juifs négriers de Nantes ou de Bordeaux.

On ne peut exclure la thèse d’une manipulation politique et/ou financière, d’un piège dans lequel DSK serait tombé, j’allais écrire: tête baissée.

Mais dans tous les cas, que les relations sexuelles aient été consenties ou imposées, avec ou sans violence, il paraît évident que M. Strauss-Kahn nécessite des soins psychiatriques et que sa désignation à la tête du FMI et sa candidature à l’investiture socialiste en vue des présidentielles furent des  erreurs de casting, comme on dit aujourd’hui.

Les magazines ont fait leur beurre de ce fait divers. On fera durer la pression médiatique autant qu’il sera possible, mais le soufflé va retomber. Grâce à une enveloppe garnie d’une liasse convenable de dollars, Mme Diallo consentira à cicatriser ses blessures.

Monsieur Strauss-Kahn sera toujours, et définitivement, présumé innocent, puisque le procès n’aura vraisemblablement pas lieu.

D’autres n’ont pas eu cette chance. Un certain L.S., suspecté d’avoir tué sa belle-mère, Catherine Ségalat, est emprisonné depuis janvier 2010 alors que les charges contre lui sont assez minces.

Plus connu: M. Mouammar Kadhafi est traité par une coalition internationale et par l’ensemble de la presse comme coupable de crimes de guerre avérés et de crimes contre l’humanité, alors même que les révolutionnaires insurgés de Benghazi et les frappes aériennes françaises sont, à l’évidence, les principaux responsables des victimes civiles.

Pas de présomption d’innocence non plus pour Ratko Mladić, qualifié unanimement par la presse francophone de boucher des Balkans, assassin et génocidaire avant même le premier jour de son procès, ni pour Oussama Ben Laden, qui n’aura jamais droit à un procès.

Mieux vaut peut-être un assassinat comme celui du chef d’Al-Qaïda plutôt qu’un simulacre de procès qui fait honte à l’idée même de Justice, comme celui de Nuremberg, comme les procès de la Libération, les procès de Moscou, celui de M. et Mme Ceausescu ou celui de M. Saddam Hussein.

Claude Paschoud

Thèmes associés: Ethique - Politique internationale

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