De la peine de mort

«Dans la nature, toutes les espèces se dévorent; toutes les conditions se dévorent dans la société.»

Denis Diderot

    On connaît la force idéologique du rejet de la peine capitale en Occident, et toute la publicité faite en faveur des condamnés concernés par cette peine aux Etats-Unis dans les Etats où elle existe toujours. Dans la série fort connue du journaliste Christophe Hondelatte Faites entrer l’accusé, de qualité et généralement très instructive, l’un des épisodes fut consacré à cette thèse du rejet avec, comme ténor bien connu, Robert Badinter. Le dossier qui  servait d’argument à cette propagande – car c’en est une – ne comportait aucune espèce d’ambiguïté sur la parfaite légalité de la peine capitale en France en 1976. Il s’agissait de l’affaire Patrick Henry, ce jeune adulte qui, par pur esprit de lucre, n’avait pas hésité à séquestrer un jeune enfant de son voisinage, qui donc le connaissait, abusant ainsi odieusement de sa confiance. Il loua un appartement loin de leur domicile, sous un prétexte quelconque – une absence momentanée des parents de l’enfant –, sous un faux nom, tua cet enfant presque aussitôt, puis demanda une rançon à ses parents.

    Ayant été surpris pratiquement sur le fait de cette demande effectuée depuis un téléphone public qui put être rapidement localisé, il parvint néanmoins à échapper à des gendarmes, mais son nom fut découvert grâce au numéro de plaque d’immatriculation de son véhicule. Aucune preuve matérielle ne put, dans un premier temps, être retenue contre lui. Sa garde à vue fut donc levée. La presse, au fait de cet enlèvement, s’empressa de l’interviewer. Cynique, Patrick Henry, qui se crut sans doute définitivement hors de cause, lui déclara que non seulement il n’était pour rien dans cet enlèvement, mais que si, par malheur, l’enfant était mort – ce qu’il dit ne pas envisager… – , il était personnellement favorable à l’application de la peine capitale à l’auteur d’un tel assassinat! Quelques mois plus tard, l’enfant étant toujours recherché, son cadavre fut découvert dans l’appartement loué sous un faux nom par Patrick Henry, le propriétaire de cet appartement l’ayant formellement reconnu.

    De l’aveu même de ses deux avocats, dont Robert Badinter, cet homme ne pouvait bénéficier d’aucune circonstance atténuante. La qualification des faits retenus juridiquement contre lui était la séquestration et l’assassinat, c’est-à-dire, au sens du droit pénal français, le meurtre avec préméditation; détail essentiel, car cette qualification entraînait d’office l’application de la peine de mort contre l’accusé, faute de circonstances atténuantes. Les jurés de la cour d’assises saisie n’avaient donc pas le choix de la peine si ces qualifications devaient effectivement être retenues, conformément au fait et au droit.

    Mieux que quiconque, Robert Badinter savait que, dans ce dossier, plaider les circonstances atténuantes lui ferait perdre tout crédit dans le public. Il choisit donc de plaider contre le principe même de la peine de mort sur la base de cette proposition fondamentale dans son argumentaire: «La vie est sacrée même pour le sacrilège!» Qui ne voit, dans cette seule proposition, à la fois un sophisme énorme et une aberration témoignant d’un égarement grave de l’esprit? Car si tel était le cas, ni la vie n’a de fondement moral ni le sacrilège non plus, sinon de manière strictement subjective, autrement dit socialement inopérante. Relativement au droit à la vie, le criminel et l’innocent sont placés exactement sur le même plan. L’absurde touche ici à l’iniquité la plus manifeste.

    Un diplomate espagnol, Donoso Cortès, écrivait ceci dans son Essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme au chapitre VI du Livre III traitant des théories des écoles rationalistes sur la peine de mort et sa nécessité tant pour la sécurité publique que pour la réparation des crimes de sang particulièrement graves: «De là découle non seulement la légitimité, mais encore la convenance et la nécessité de la peine de mort.» Et il ajoutait: «Cette peine se trouve établie chez tous les peuples, et l’universalité de son institution proclame la foi universelle du genre humain à l’efficacité de l’effusion du sang accomplie sous certaines conditions, à sa vertu expiatoire lorsqu’il est versé ainsi, à la nécessité de l’expiation par le sang.»1

    C’est donc sur un sophisme aberrant et cruel et sur une violation délibérée du droit pénal français en vigueur à l’époque que les jurés de cette cour d’assises, à une voix de majorité, choisirent d’admettre contre le fait établi et le droit l’existence de circonstances  atténuantes en faveur de Patrick Henry à seule fin d’esquiver la peine de mort. L’évêque de Troyes de l’époque joua son rôle dans ce détournement du droit en dénonçant cette peine comme «antichrétienne» du haut de la chaire et au moment du procès… Quelques années plus tard, Mitterrand étant président de la République, et cette abolition faisant partie de ses promesses électorales, la peine de mort fut abolie en France après un débat au Parlement où cette cause fut défendue par Robert Badinter. Simone Veil, sous Giscard, avait déjà auparavant porté un bémol à la phrase citée ici de Badinter dans le procès de Patrick Henry: la vie ne serait plus sacrée… pour le fœtus de l’homme! C’est bien pourquoi elle l’est devenue pour tous les criminels. Reconnaissons au moins à tous ces disciples des «Lumières» une cohérence certaine: tous voient le progrès dans la barbarie à une condition toutefois: ne pas en être eux-mêmes les victimes!

    Et c’est à des hommes débitant de telles stupidités que nos sociétés démocratiques demandent de faire des lois. Au moins, nous savons où nous allons: à la mort.

Michel de Preux

1 Op. cit., p. 357 de l’édition Dominique Martin Morin, Grez-en-Bouère (Mayenne), France 1986.

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