En direct de Sirius
Le hachoir à viande (conte moderne et pas nécessairement moral)
Au sortir de la seconde guerre mondiale, Max Petitpierre, patron du Département politique fédéral, avait dû subir les pressions de certain lobby américain qui réclamait avec des cris d’orfraie la levée du secret bancaire pour les comptes des vaincus. Le conseiller fédéral avait désamorcé l’affaire, proposant d’aller plus loin en matière de sainteté et de lever le secret bancaire pour la totalité des comptes ouverts par les ressortissants des pays belligérants; moyennant quoi le soufflé était retombé, et la Suisse avait conservé intacte la réputation de sécurité bancaire qui faisait sa renommée et la confiance de particuliers soucieux de ne pas sacrifier leur fortune aux molochs fiscaux, sans cesse plus voraces, de leurs pays de résidence ou d’origine. Prenant son mal en patience, le lobby avait alors entamé un long travail de rongeur. Vers le milieu des années soixante, on vit naître et prospérer dans les dialogues cinématographiques la mention des «machines à laver des banques suisses». En enchaînement logique apparut, quelque dix ans plus tard, l’affaire des fonds en déshérence. Les tout petits bonshommes, avec leurs diplômes de hautes études économiques et leurs boutons de manchettes achetés à Harvard, qui n’avaient aucune parenté de format ou d’esprit avec les grands banquiers auxquels, à force de temps, ils avaient succédé, tirèrent leurs calculettes et convinrent qu’obtempérer était plus profitable en termes de points boursiers et de parts de marché. Obnubilés par le premier principe fondamental d’économie de marché (l’offre et la demande) et oublieux du second (Ote-toi de là que je m’y mette!), ils introduisirent la main dans le hachoir à viande. Pour la plus grande joie du lobby, la Suisse cédait. A New York, les rongeurs n’avaient plus qu’à dénicher à Wall Street quelques ex-employés indélicats en bourse, et à les mener au plea bargain1 d’autant plus aisément que le secret bancaire suisse avait perdu de son imperméabilité. Et c’est ainsi que, de peur de perdre leur place sur le marché bancaire américain, les vraiment très petits nains aux grands bonus de Zurich rangèrent leurs calculettes, lustrèrent leurs boutons de manchettes et se firent indicateurs – pardon, «auxiliaires de justice» (en argot états-unien: Stool pigeons.
La France qui déconne
14.3.2009: sur France Info, le «lamentateur» de service déplore le suicide, dans la prison de Moulins, d’un détenu multirécidiviste de dix-sept ans, et ne manque pas de rappeler que des voix s’élèvent en France pour condamner la «surpopulation carcérale». Dans la foulée, le rapporteur précise en toute candeur que le suicidé a été découvert dans sa cellule «individuelle».
Un homme d’exception
Nous avons déjà écrit ici le bien que nous pensons du procureur de Nice Eric de Montgolfier. Fidèle à son Devoir de déplaire, titre d’un livre dont il est l’auteur et sur lequel nous reviendrons prochainement, M. de Mongolfier a été amené au cours de sa carrière à s’attaquer avec passablement de succès à pas mal d’idoles et de temples, quitte à mettre parfois en porte-à-faux une magistrature souvent frappée de myopie. En ces temps moroses, nous croyons roboratif de relater ici une de ses récentes interventions: Grandgousier2, maire d’une petite ville du littoral, convaincu de prise illégale d’intérêt dans ce que la presse locale avait si plaisamment décrit comme un «marché public passé en famille», a été récemment condamné à une peine avec sursis et à une amende, mais a échappé à l’inéligibilité. Le procureur a alors décidé de ne pas interjeter appel, laissant aux électeurs le soin de décider du futur politique du maire indélicat. Au sortir du Palais de justice, soulagé d’avoir sauvé son mandat, le condamné s’est fendu d’une déclaration de circonstance pour les médias locaux, parlant d’avoir «fait une imprudence (…) avant tout pour être au service de ses administrés, et pas autre chose». Mal lui en a pris. Montgolfier déclarait dix jours plus tard: «Les commentaires à travers la presse (…) ont bien manifesté que M. G. n’avait rien compris. Ce que, moi, j’appelle une infraction, lui, il l’appelle une erreur (…) On ne va pas m’expliquer que ce qu’on fait pour le bien de sa famille avec les fonds publics est une bonne chose; c’est précisément ce que la loi réprouve. M. G. ne me paraissant pas avoir compris le sens de cette condamnation – il a dû la trouver un peu légère –, j’ai donc décidé d’interjeter appel pour permettre à la Cour de l’aggraver.» Courant désormais le risque d’inéligibilité, M. G. n’a – cette fois – pas souhaité s’exprimer.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, Max Petitpierre, patron du Département politique fédéral, avait dû subir les pressions de certain lobby américain qui réclamait avec des cris d’orfraie la levée du secret bancaire pour les comptes des vaincus. Le conseiller fédéral avait désamorcé l’affaire, proposant d’aller plus loin en matière de sainteté et de lever le secret bancaire pour la totalité des comptes ouverts par les ressortissants des pays belligérants; moyennant quoi le soufflé était retombé, et la Suisse avait conservé intacte la réputation de sécurité bancaire qui faisait sa renommée et la confiance de particuliers soucieux de ne pas sacrifier leur fortune aux molochs fiscaux, sans cesse plus voraces, de leurs pays de résidence ou d’origine. Prenant son mal en patience, le lobby avait alors entamé un long travail de rongeur. Vers le milieu des années soixante, on vit naître et prospérer dans les dialogues cinématographiques la mention des «machines à laver des banques suisses». En enchaînement logique apparut, quelque dix ans plus tard, l’affaire des fonds en déshérence. Les tout petits bonshommes, avec leurs diplômes de hautes études économiques et leurs boutons de manchettes achetés à Harvard, qui n’avaient aucune parenté de format ou d’esprit avec les grands banquiers auxquels, à force de temps, ils avaient succédé, tirèrent leurs calculettes et convinrent qu’obtempérer était plus profitable en termes de points boursiers et de parts de marché. Obnubilés par le premier principe fondamental d’économie de marché (l’offre et la demande) et oublieux du second (Ote-toi de là que je m’y mette!), ils introduisirent la main dans le hachoir à viande. Pour la plus grande joie du lobby, la Suisse cédait. A New York, les rongeurs n’avaient plus qu’à dénicher à Wall Street quelques ex-employés indélicats en bourse, et à les mener au plea bargain1 d’autant plus aisément que le secret bancaire suisse avait perdu de son imperméabilité. Et c’est ainsi que, de peur de perdre leur place sur le marché bancaire américain, les vraiment très petits nains aux grands bonus de Zurich rangèrent leurs calculettes, lustrèrent leurs boutons de manchettes et se firent indicateurs – pardon, «auxiliaires de justice» (en argot états-unien: Stool pigeons.
La France qui déconne
14.3.2009: sur France Info, le «lamentateur» de service déplore le suicide, dans la prison de Moulins, d’un détenu multirécidiviste de dix-sept ans, et ne manque pas de rappeler que des voix s’élèvent en France pour condamner la «surpopulation carcérale». Dans la foulée, le rapporteur précise en toute candeur que le suicidé a été découvert dans sa cellule «individuelle».
Un homme d’exception
Nous avons déjà écrit ici le bien que nous pensons du procureur de Nice Eric de Montgolfier. Fidèle à son Devoir de déplaire, titre d’un livre dont il est l’auteur et sur lequel nous reviendrons prochainement, M. de Mongolfier a été amené au cours de sa carrière à s’attaquer avec passablement de succès à pas mal d’idoles et de temples, quitte à mettre parfois en porte-à-faux une magistrature souvent frappée de myopie. En ces temps moroses, nous croyons roboratif de relater ici une de ses récentes interventions: Grandgousier2, maire d’une petite ville du littoral, convaincu de prise illégale d’intérêt dans ce que la presse locale avait si plaisamment décrit comme un «marché public passé en famille», a été récemment condamné à une peine avec sursis et à une amende, mais a échappé à l’inéligibilité. Le procureur a alors décidé de ne pas interjeter appel, laissant aux électeurs le soin de décider du futur politique du maire indélicat. Au sortir du Palais de justice, soulagé d’avoir sauvé son mandat, le condamné s’est fendu d’une déclaration de circonstance pour les médias locaux, parlant d’avoir «fait une imprudence (…) avant tout pour être au service de ses administrés, et pas autre chose». Mal lui en a pris. Montgolfier déclarait dix jours plus tard: «Les commentaires à travers la presse (…) ont bien manifesté que M. G. n’avait rien compris. Ce que, moi, j’appelle une infraction, lui, il l’appelle une erreur (…) On ne va pas m’expliquer que ce qu’on fait pour le bien de sa famille avec les fonds publics est une bonne chose; c’est précisément ce que la loi réprouve. M. G. ne me paraissant pas avoir compris le sens de cette condamnation – il a dû la trouver un peu légère –, j’ai donc décidé d’interjeter appel pour permettre à la Cour de l’aggraver.» Courant désormais le risque d’inéligibilité, M. G. n’a – cette fois – pas souhaité s’exprimer.
NOTES:
1) Système procédural par lequel un délinquant passe un accord avec la justice pour alléger sa peine, voire s’en exonérer, en échange d’informations jugées d’intérêt supérieur.
2) Nom fictif.
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