Le peuple, instrument de pouvoir

L’avion de combat Saab Gripen, choisi par l’armée suisse pour remplacer ses vieux Tiger, est un mauvais appareil, techniquement dépassé et incapable de remplir les missions qui lui sont dévolues; il s’agit d’un matériel bas de gamme choisi à rebours du bon sens par un ministre gaffeur et incompétent. Et de toute façon, la Suisse n’a pas besoin d’avions militaires. Voilà, en gros, ce qui se dit dans les arrière-salles enfumées des bistrots et, partant, dans toute la population.

L’auteur de ces lignes n’a aucune compétence pour évaluer la pertinence de ces critiques. Il constate néanmoins que ces dernières émanent de gens qui n’ont pas davantage de compétence en ce domaine et qui ne se distinguent guère que par leur désamour envers tout ce qui est peu ou prou militaire, ou alors par leurs liens ambigus avec d’autres avionneurs concurrents.

Est-il raisonnable que tout un chacun – caissière, jardinier, ramoneur, comptable, médecin ou ménagère – puisse avoir un avis définitif sur la stratégie et la tactique des forces aériennes et sur le choix de l’appareil appelé à les mettre en œuvre? Et que cet avis soit déterminant – en 2013 en cas de votation populaire, ou peut-être déjà avant lorsque les parlementaires, qui ne pensent que ce que disent leurs électeurs, devront se prononcer?

En l’état actuel, on peut craindre que les certitudes goguenardes de monsieur et madame tout-le-monde, manipulés depuis de nombreux mois par le puissant lobby socialo-antimilitariste, empêchent purement et simplement l’armée suisse d’acheter un nouvel avion. Car il est peu probable de retrouver aujourd’hui le modeste soutien populaire qui s’était manifesté en 1993 lors de l’acquisition des F/A-18: d’une part, de nouvelles générations intellectuellement indigentes se sont répandues dans le corps électoral; d’autre part, le conseiller fédéral de l’époque, benêt mais jovial et populaire, a fait place à un magistrat grisaille, incapable de s’imposer ou de se défendre face à l’hostilité des médias.

Il est préoccupant de devoir envisager ainsi le blocage d’un programme d’armement particulier par une population qui ne fonde son jugement que sur des informations potentiellement et plausiblement fausses, matraquées à l’infini par d’obscures officines et leurs relais médiatiques (selon le principe voulant qu’un mensonge répété mille fois reste un mensonge, tandis qu’un mensonge répété un million de fois devient une vérité).

Dans un même ordre d’idées, on devrait s’inquiéter de voir la Suisse abandonner du jour au lendemain une énergie nucléaire produisant presque 40% de ses besoins en électricité, cela sous la pression d’une masse populaire très majoritairement incompétente en la matière mais nourrie des terreurs sourdes distillées par le puissant lobby antinucléaire.

Certes, on aurait tort d’accorder une confiance aveugle aux «spécialistes», réels ou supposés, qui se trompent ou nous trompent plus souvent qu’à leur tour. Pour autant, cela ne justifie pas la fragilité consternante de notre société lorsqu’elle confie ses leviers de commande les plus stratégiques aux jugements incertains et changeants d’une masse de gens manipulables et influençables.

Il y a ainsi des jours où l’on ne se sent pas l’âme d’un démocrate.

Pollux

 

Thèmes associés: Armée - Politique fédérale

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