Editorial
Dans une invitation de la Société vaudoise des officiers à une conférence donnée le 20 janvier, on pouvait lire ce qui suit: «Voilà quelques années, la France a supprimé la conscription obligatoire, accélérant un processus de lent désintérêt pour le service rendu à la patrie. Luc Ferry, aujourd’hui président du Conseil d’analyse de la société, un service rattaché au premier ministre, a été chargé par le Président de la République de réfléchir à un service civique obligatoire, afin de renforcer le sentiment républicain actuellement en déliquescence.»
Comme nous n’avons pas pu assister à la conférence de l’ancien ministre de l’éducation nationale intitulée Education et civisme, il ne nous est évidemment pas possible de faire état du «constat de son expérience française» ni de sa «série de réponses pour endiguer ce phénomène». Mais le sujet nous paraît digne d’intérêt.
A l’époque désormais lointaine où nous combattions avec l’énergie de la jeunesse l’introduction du service civil de remplacement pour les objecteurs de conscience, la question se posait déjà: faut-il astreindre tous les citoyens à un service obligatoire? Et déjà la réponse était: non, seul le service militaire peut justifier une telle atteinte à la liberté individuelle, car la défense du pays ne peut pas être assurée autrement. En revanche, toutes les tâches qu’accompliraient les astreints au service civil, et, jusqu’à un certain point, à la protection civile, pourraient être confiées à des particuliers ou à des entreprises privées.
Les choses ont changé, les effectifs de l’armée ont considérablement diminué; l’armée suisse n’a plus besoin de tous les citoyens en âge de servir; le recrutement répartit les conscrits qui ne souhaitent pas échapper au service obligatoire ou n’y parviennent pas entre l’armée, la protection civile et le service civil désormais ouvert à tout le monde et, paraît-il, fort prisé. Il n’en reste pas moins vrai que seule la défense du pays justifie l’obligation de servir.
Toutefois, comme on tend chez nous vers ce fameux service obligatoire censé renforcer le «sentiment républicain» ou «citoyen», demandons-nous si le civisme de nos concitoyens s’est accru ces dernières années. Nous n’avons rien constaté de tel, mais nous avons noté ceci: les militaires en tenue de sortie que nous avons l’occasion de croiser sont pour la plupart à ce point débraillés qu’on en a honte pour eux et pour leur hiérarchie; nous avons la faiblesse de penser que la correction de la tenue est aussi une marque de civisme.
Penser qu’un service civique obligatoire – auquel il faudrait astreindre aussi les femmes, évidemment, dont le «sentiment républicain» se délite tout autant que celui des hommes – ranimerait l’intérêt pour le service rendu à la patrie revient à placer la charrue avant les bœufs, à prétendre que le port obligatoire de chaussettes de laine tricotées main ferait remonter les températures hivernales. En d’autres termes, ce n’est pas le service à la communauté qui engendre le «sentiment républicain» – on notera que le civisme n’existait pas sous la monarchie –, c’est le «sentiment citoyen» – même remarque – qui fait accepter le service quand il s’avère nécessaire. Ce n’est pas par hasard que, à l’époque de la conscription obligatoire et générale, les refus de servir augmentaient en temps de paix pour redevenir rares aussitôt qu’une menace de guerre se profilait à l’horizon.
En fait, le vrai problème, c’est que les gens aiment de moins en moins leur pays. Bien sûr, ils restent attachés à des lieux, à des paysages, à des personnes. Mais les changements sociaux qui s’opèrent sous leurs yeux avec l’aval de leurs dirigeants font qu’ils ne se sentent plus chez eux, et l’interdiction qui leur est faite de s’en plaindre – il est risqué, de nos jours et sous nos latitudes, de dire en public qu’il y a trop burqas, trop de voiles islamiques, trop de gens de type exotique – engendre chez eux un sentiment d’impuissance et de frustration fort peu propice au «sentiment républicain». Ceci vaut pour pas mal de gens d’un certain âge. Quant aux jeunes, qui baignent depuis le berceau dans l’ouverture au monde, pourquoi se mettraient-ils au service d’une communauté plutôt que d’une autre? Pourquoi, alors que les cours d’instruction civique, pardon de citoyenneté, servent principalement à dénigrer les vieux patriotes ringards et leurs représentants fascistes, seraient-ils portés à regarder le pays de leur naissance autrement que comme un simple lieu où le hasard les a fait naître?
Le civisme ne se commande pas. Nous craignons fort que beaucoup des jeunes gens qui, chez nous, s’engagent dans l’armée ne le fassent pour le plaisir de jouer les rambos. Peut-être est-ce pour cette raison que les soldats en tenue de camouflage que nous croisons aussi sont presque toujours impeccables. Nous pensons aussi que les membres du service civil obéissent à un souci social ou humanitaire beaucoup plus qu’au désir de servir le pays.
En tout état de cause, infliger à une population un service obligatoire sans autre but que le renforcement d’un civisme en voie de disparition constitue une mesure inutile et surtout totalitaire. Nous espérons que nos autorités si promptes à suivre les modes idéologiques en sont conscientes.
Comme nous n’avons pas pu assister à la conférence de l’ancien ministre de l’éducation nationale intitulée Education et civisme, il ne nous est évidemment pas possible de faire état du «constat de son expérience française» ni de sa «série de réponses pour endiguer ce phénomène». Mais le sujet nous paraît digne d’intérêt.
A l’époque désormais lointaine où nous combattions avec l’énergie de la jeunesse l’introduction du service civil de remplacement pour les objecteurs de conscience, la question se posait déjà: faut-il astreindre tous les citoyens à un service obligatoire? Et déjà la réponse était: non, seul le service militaire peut justifier une telle atteinte à la liberté individuelle, car la défense du pays ne peut pas être assurée autrement. En revanche, toutes les tâches qu’accompliraient les astreints au service civil, et, jusqu’à un certain point, à la protection civile, pourraient être confiées à des particuliers ou à des entreprises privées.
Les choses ont changé, les effectifs de l’armée ont considérablement diminué; l’armée suisse n’a plus besoin de tous les citoyens en âge de servir; le recrutement répartit les conscrits qui ne souhaitent pas échapper au service obligatoire ou n’y parviennent pas entre l’armée, la protection civile et le service civil désormais ouvert à tout le monde et, paraît-il, fort prisé. Il n’en reste pas moins vrai que seule la défense du pays justifie l’obligation de servir.
Toutefois, comme on tend chez nous vers ce fameux service obligatoire censé renforcer le «sentiment républicain» ou «citoyen», demandons-nous si le civisme de nos concitoyens s’est accru ces dernières années. Nous n’avons rien constaté de tel, mais nous avons noté ceci: les militaires en tenue de sortie que nous avons l’occasion de croiser sont pour la plupart à ce point débraillés qu’on en a honte pour eux et pour leur hiérarchie; nous avons la faiblesse de penser que la correction de la tenue est aussi une marque de civisme.
Penser qu’un service civique obligatoire – auquel il faudrait astreindre aussi les femmes, évidemment, dont le «sentiment républicain» se délite tout autant que celui des hommes – ranimerait l’intérêt pour le service rendu à la patrie revient à placer la charrue avant les bœufs, à prétendre que le port obligatoire de chaussettes de laine tricotées main ferait remonter les températures hivernales. En d’autres termes, ce n’est pas le service à la communauté qui engendre le «sentiment républicain» – on notera que le civisme n’existait pas sous la monarchie –, c’est le «sentiment citoyen» – même remarque – qui fait accepter le service quand il s’avère nécessaire. Ce n’est pas par hasard que, à l’époque de la conscription obligatoire et générale, les refus de servir augmentaient en temps de paix pour redevenir rares aussitôt qu’une menace de guerre se profilait à l’horizon.
En fait, le vrai problème, c’est que les gens aiment de moins en moins leur pays. Bien sûr, ils restent attachés à des lieux, à des paysages, à des personnes. Mais les changements sociaux qui s’opèrent sous leurs yeux avec l’aval de leurs dirigeants font qu’ils ne se sentent plus chez eux, et l’interdiction qui leur est faite de s’en plaindre – il est risqué, de nos jours et sous nos latitudes, de dire en public qu’il y a trop burqas, trop de voiles islamiques, trop de gens de type exotique – engendre chez eux un sentiment d’impuissance et de frustration fort peu propice au «sentiment républicain». Ceci vaut pour pas mal de gens d’un certain âge. Quant aux jeunes, qui baignent depuis le berceau dans l’ouverture au monde, pourquoi se mettraient-ils au service d’une communauté plutôt que d’une autre? Pourquoi, alors que les cours d’instruction civique, pardon de citoyenneté, servent principalement à dénigrer les vieux patriotes ringards et leurs représentants fascistes, seraient-ils portés à regarder le pays de leur naissance autrement que comme un simple lieu où le hasard les a fait naître?
Le civisme ne se commande pas. Nous craignons fort que beaucoup des jeunes gens qui, chez nous, s’engagent dans l’armée ne le fassent pour le plaisir de jouer les rambos. Peut-être est-ce pour cette raison que les soldats en tenue de camouflage que nous croisons aussi sont presque toujours impeccables. Nous pensons aussi que les membres du service civil obéissent à un souci social ou humanitaire beaucoup plus qu’au désir de servir le pays.
En tout état de cause, infliger à une population un service obligatoire sans autre but que le renforcement d’un civisme en voie de disparition constitue une mesure inutile et surtout totalitaire. Nous espérons que nos autorités si promptes à suivre les modes idéologiques en sont conscientes.
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