Chaos moderne et vieux réflexes
Beaucoup de gens s’étonnent, s’inquiètent, s’indignent aujourd’hui face à la répression policière et judiciaire brutale que mène le gouvernement français contre les opposants au mariage homosexuel: familles molestées par les CRS, incidents-prétextes provoqués par des policiers en civil déguisés en manifestants, passants interpellés et emmenés au poste parce qu’ils portaient un vêtement aux couleurs du mouvement de protestation, sanctions à l’égard de policiers soupçonnés de ne pas se montrer assez durs, et maintenant un jeune homme condamné à deux mois de prison ferme pour «rébellion».
S’indigner n’est pas interdit, mais ça n’avance pas à grand-chose. S’inquiéter est sans doute la réaction la plus utile, car elle signifie que l’on prend conscience que quelque chose se passe. Pourquoi en revanche s’étonner?
Pourquoi croit-on toujours que ce qui s’est passé à d’autres époques ou ce qui se passe ailleurs dans le monde ne peut pas se produire ici et maintenant? La tentation de la violence et de l’élimination de toute contestation, la tentation de la mauvaise foi et de l’injustice, la tentation aussi de fermer les yeux et de suivre le courant dominant existent à des degrés divers chez la plupart des individus, dans toutes les communautés, à toutes les époques. Une société saine parvient généralement à policer ces tentations sauvages, les réduisant à quelques exceptions. Une société malade les exacerbe au contraire; c’est exactement ce que nous vivons actuellement.
Le «président normal» de la France d’aujourd’hui n’est pas génétiquement différent des apparatchiks placés autrefois aux commandes des républiques socialistes d’Europe de l’Est, qui se montraient paniqués et vindicatifs face à des manifestations qui remettaient en question non seulement leur quiétude professionnelle, mais aussi leur conception du monde et leurs certitudes idéologiques. Les policiers et gendarmes de la France d’aujourd’hui ne sont pas d’une autre nature que les VoPos de l’ancienne République démocratique allemande: il y a parmi eux des militants socialistes venus «casser du facho», des immigrés venus «casser du Céfran», mais aussi beaucoup de braves gens qui n’ont simplement pas vocation à jouer les héros. Une gardienne de la paix parisienne a fort bien analysé cette situation: «Mes collègues se cachent inexorablement derrière cette obligation de réserve. (…) Leur comportement n’est que lâcheté, oui, ajoutez-y la peur des (immanquables) sanctions en cas de non-exécution des ordres émanant des officiers, un zeste de volonté de se défouler sur des gens qui ne sont généralement pas très virulents (…), une bonne dose de panurgisme, un soupçon de peur de ne pas muter en province (sic) suite à une sanction et vous obtenez de parfaits serviteurs prêts à taper, interpeller, mettre en garde à vue leurs semblables (…).»[1]
Les injustices commises par les autorités sont dénoncées comme contraires à l’Etat de droit. Mais l’Etat de droit «pur» est une fiction; la réalité réserve toujours un traitement inéquitable, potentiellement injuste, à certaines personnes ou catégories de personnes qui s’écartent trop des normes de la société dans laquelle elles vivent. On peut au mieux se rapprocher de l’idéal de l’Etat de droit; les circonstances actuelles, encore une fois, nous en éloignent plutôt.
Ces signes multiples d’une dérive totalitaire ne concernent pas que la France. Citons un seul exemple, anecdotique mais révélateur: en Allemagne, la déprogrammation précipitée, en quelques jours à peine, de tous les feuilletons télévisés dans lesquels jouait l’acteur Horst Tappert – décédé en 2008 après être devenu internationalement célèbre, mais soudain accusé d’avoir été engagé dans la Waffen-SS durant la deuxième guerre mondiale – représente presque une caricature des rebondissements ubuesques que connaissait parfois la vie politique soviétique.
Répression, chasse aux «ennemis du peuple», dictature teigneuse et ridicule du «politiquement correct» dans tous les domaines de la société: tout cela est inscrit, en puissance, dans le cœur des hommes; et ce qui s’est passé autrefois ailleurs se répète aujourd’hui, mutatis mutandis, dans une Europe occidentale malade, dangereuse, instable et imprévisible. La page d’histoire qui s’écrira ces prochaines années promet d’être passionnante, à défaut d’être paisible.
Pollux
NOTES:
[1] www.ripostelaique.com du 28 mai 2013, repris sur www.fdesouche.com.
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