Deux questions, deux réponses

Il n’est guère surprenant que la classe politique s’engage résolument pour l’acceptation de la prolongation de la validité des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne, comme elle s’était déjà mobilisée en faveur de l’EEE et pour notre adhésion à l’Europe. Elle ne craint pas, d’ailleurs, d’user des mêmes arguments catastrophistes, dont elle avait fait grand usage lors de ces dernières occasions, et qui s’étaient révélés tout faux naguère, comme ils le sont toujours aujourd’hui.

On nous raconte qu’en cas de refus populaire, le Conseil fédéral serait tenu de dénoncer les accords conclus avec l’Union, ou pire, qu’un scrutin négatif aurait la vertu d’une dénonciation automatique des accords.

C’est faux. Le Conseil fédéral serait tenu de respecter la volonté populaire, mais quelle serait cette volonté si on a prié le peuple de répondre par un seul oui ou un seul non à deux questions différentes? Un oui à la double question n’a nul besoin d’interprétation. Un non, en revanche, devrait imposer au gouvernement le devoir d’interroger à nouveau le souverain, sur les deux objets séparément. Il n’y a d’ailleurs aucune urgence, puisque les Bilatérales I, dont fait partie l’accord sur la libre circulation des personnes, seront reconduites tacitement, pour une durée indéterminée, sauf dénonciation expresse de l’une ou l’autre partie. Logiquement, et démocratiquement, le Conseil fédéral ne pourrait dénoncer l’accord que s’il est sûr que le peuple le veut.

La brochure du Conseil fédéral nous dit que le Parlement a décidé de lier les deux questions dans un seul arrêté, essentiellement parce que la reconduction de l’accord n’est garantie que si nous l’appliquons à l’ensemble des Etats de l’UE. C’est faux. Lorsque les accords ont été négociés et signés, nos partenaires de l’UE ont été rendus attentifs au fait que chaque extension territoriale de l’Europe donnerait lieu à un choix libre de notre part.

On nous dit aussi qu’en cas de refus d’étendre les accords de libre circulation des personnes à la Roumanie et à la Bulgarie, une «clause guillotine» des accords existerait, qui rendrait ceux-ci automatiquement caducs.

Cette clause n’existe pas. Peut-on imaginer, nonobstant l’inexistence d’une telle clause, que les membres de l’Union européenne, irrités de constater que la Suisse refuse l’extension des accords de libre circulation à ses deux nouveaux membres, prenne l’initiative de dénoncer l’ensemble des accords conclus? C’est juridiquement une hypothèse possible. Elle est assez peu probable, néanmoins, car la dénonciation des accords nécessite des membres de l’Union un avis unanime et, d’autre part, politiquement et économiquement, les accords sont avantageux pour les deux parties contractantes. C’est également pour cette raison que si, juridiquement parlant, la dénonciation par la Suisse du seul accord sur la libre circulation des personnes aurait pour effet la dénonciation automatique des six autres accords conclus en même temps, rien n’empêche de supposer que ces autres accords pourraient être prolongés par une décision commune, s’ils correspondent à des avantages pour les deux parties.

Les milieux proches de l’Union et le personnel politique de notre pays jouent à nous effrayer. Comme naguère, on nous prédit les pires cataclysmes si nous refusons l’alignement: c’est tout juste si nous n’allons pas régresser à l’âge de la pierre polie! On nous a déjà servi ces balivernes lors de la tentative d’embrigadement dans l’EEE et dans l’Union. En restant à l’extérieur, nous nous sommes plutôt bien portés.

L’accord sur la libre circulation des personnes a été, ces dernières années, plutôt bénéfique pour les entreprises. Cet accord n’a pas «créé des emplois» comme on entend certains économistes de luna-park le prétendre: simplement, ces six dernières années ont été des années de croissance, les entreprises ont pu créer des emplois, parce que les carnets de commandes étaient pleins, et on a donc pu profiter d’engager des étrangers plus aisément, avec moins de tracasseries, grâce à l’accord.

Les syndicats craignent, pour les temps qui viennent, et qui sont moins roses, une pression à la baisse sur les rémunérations. Ils n’ont pas entièrement tort. Ce risque existe, malgré les conventions collectives, qui ne concernent pas tous les salariés. Le droit au regroupement familial va aussi peser sur les finances publiques (plus d’écoles, plus d’enseignants, plus d’allocations…).

Mais finalement, je ne me serais pas opposé à la prorogation de l’accord sur la libre circulation, sachant que cet accord peut être dénoncé en tout temps s’il devait provoquer de graves inconvénients pour nous.

Si la question m’avait été posée séparément, j’aurais peut-être admis aussi, comme une décision distincte, autonome, et dûment analysée pour elle-même, l’extension de l’accord aux deux derniers venus dans l’Union, qui sont constitués d’Européens.

Mais le coup de force du Parlement me déplaît.

A la question: Acceptez-vous l’Arrêté fédéral portant approbation de la reconduction de l’accord entre la Suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre circulation des personnes, ainsi qu’approbation et mise en oeuvre du protocole visant à étendre l’accord sur la libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie?...

ma réponse sera la suivante:

[X] Oui
[X] Non

Peut-être ce vote (nul) donnera-t-il au gouvernement, si d’aventure le non devait l’emporter, la conscience d’une nécessité de reposer les questions de façon honnête. Dans tous les cas, le Conseil fédéral ne doit pas s’imaginer qu’on pourra nous glisser la Turquie subrepticement, dans le prochain paquet des Bilatérales II ou III, sans qu’on réagisse!

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