Foi et raison

Dans le différend qui oppose les dénommés «créationnistes» aux évolutionnistes, le Département vaudois de la formation, de la jeunesse et de la culture vient, nous dit-on, de trancher: il sera désormais interdit à tout établissement scolaire vaudois, public ou privé, de dispenser un enseignement créationniste. Certains s'en offusquent mais tiennent à rester neutres dans ce différend où ils constatent une opposition irréductible entre deux domaines distincts de connaissance: la foi, relative à l'ordre surnaturel d'une part, et la science, qui ne peut concerner que les phénomènes sensibles et vérifiables.

Or ce n'est point ainsi qu'il convient de voir les choses. La raison n'est pas limitée à la connaissance vérifiée des phénomènes observables et mesurables, ceci n’étant rien d’autre que du rationalisme. Et la foi en la Révélation divine ne concerne pas exclusivement l'ordre surnaturel; elle confirme aussi surnaturellement des connaissances auxquelles la raison humaine peut accéder. Telle est en particulier l'idée de création. Saint Paul l'explicite clairement au début de son épître aux Romains (chap. 1, verset 20) et l'Eglise s'y réfère notamment dans le canon 1 sur la foi catholique de la Constitution dogmatique du premier Concile œcuménique du Vatican, Dei Filius, du 14 avril 1870: «Si quelqu'un dit que le Dieu unique et véritable, notre Créateur et Seigneur, ne peut être connu avec certitude par ses œuvres grâce à la lumière naturelle de la raison humaine, qu'il soit anathème.»1

Et, de fait, la connaissance scientifique n'épuise pas le domaine propre de la connaissance rationnelle, puisque celle-ci concerne aussi la métaphysique. C'est donc un abus commis par tous les scientistes d'exclure du champ naturel de la connaissance rationnelle le domaine métaphysique. Au reste, s'il n'y a évidemment pas de preuve scientifique de l'existence de Dieu, il n'y en a pas non plus de celle de l'âme humaine. Or qui oserait prétendre que cette connaissance ne relève pas aussi de la raison et n'est pas moins convaincante que la connaissance scientifique?

Il ne convient donc pas, dans ce différend, d'adopter une attitude de «prudence théologique» ni d'avouer timidement une quelconque «incompétence scientifique»2, ceci quand bien même l’acte de création divine de l'univers reste un mystère dans son mode d'exercice. La raison suffit, qui nous dit que ce qui n'existe pas par soi, existe nécessairement par un autre, dont la qualité, comme cause première, est précisément d'être par soi, d’être sa propre cause. Or l'être qui existe par soi constitue la définition même de Dieu. Et ce qui n'existe pas par soi, ne peut exister que sous cette dépendance ontologique et originelle, sinon son existence serait sans cause, donc sans raison. Or le principe de non-contradiction exclut l'idée d'être non nécessaire existant par soi, c’est-à dire sans cause distincte de cet être. Le non-être ne peut engendrer l’être, l’absurde ne peut engendrer l'ordre cosmique et humain, principe même de connaissabilité par notre esprit, c'est-à-dire par la raison scientifique. Ou alors la pensée humaine ne serait que folie et verbiage creux.

Michel de Preux




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