Pas comme les autres

Il nous prend parfois l'envie de haïr les gens que nous voyons autour de nous, lorsqu'ils passent leur temps misérablement à se plaindre de tout, à critiquer tout le monde, à dire du mal des autres et à détester leurs semblables.

Nous avons failli écrire, dans un premier réflexe: «Il nous prend parfois l'envie de haïr nos semblables.» Puis nous nous sommes ravisé, car ces personnes ne sont en rien semblables à nous! Vraiment?… En fait, nous nous trouvons face à un angoissant paradoxe: nous nous plaignons des gens qui se plaignent, nous détestons ceux qui détestent les autres, et ce faisant nous avons l'impression de leur ressembler, tout en étant pourtant persuadés de ne pas être comme eux.

Rassurons-nous: il y a bel et bien deux manières de se plaindre et de critiquer: la bonne et la mauvaise, la noble et l'ignoble, l'admirable et la méprisable.

Choisissez la première et laissez la seconde aux autres. Soyez râleurs, rouspéteurs, grognons, ronchons, mais soyez-le avec élégance, avec goût, avec panache. En premier lieu, sachez garder un minimum d'humour, de la distance, le sens du «deuxième degré». Ne vous prenez jamais au sérieux: restez conscients de ce qu'il y a d'excessif dans votre attitude et riez-en. Pour autant, soyez toujours honnêtes et justes, bannissez la mauvaise foi et ne colportez jamais de fausses rumeurs, de mensonges, d'exagérations; il y a déjà bien assez à critiquer dans le monde sans avoir besoin d'en rajouter. Evitez d'accabler les personnes qui, objectivement, ne le méritent pas; elles sont déjà si rares! Soyez capables de revenir sur vos critiques le jour où vous découvrez qu'elles sont (exceptionnellement) infondées.

Pensez à l'intérêt général, pas au vôtre. La critique doit être désintéressée – elle est bien plus belle lorsqu'elle ne sert à rien! Bannissez l'envie et la jalousie, qui sont les vices les plus laids qui soient. Dites du mal des autres pour ce qu'ils ont de moins que vous, pas pour ce qu'ils ont de plus. Craignez de ressembler à ces piornes qui hantent les discussions de leur médiocrité aigrie et de leurs infirmités orthographiques, et qui pérorent par méchanceté plutôt que par goût. (Celui-ci possède davantage que celui-là! Untel gagne un salaire indécent! Pourquoi machin a-t-il le droit de faire ce qui lui plaît? Pourquoi mon voisin qui gagne dix fois plus que moi paie-t-il seulement cinq fois plus d'impôts? etc.)

Soyez constamment à contre-courant, ne hurlez jamais avec les loups. Plaignez-vous de ce que les autres aiment, aimez ce dont ils se plaignent. Dites du mal des gens que tout le monde admire et admirez ceux dont tout le monde dit du mal. Proclamez ouvertement que «vous n'aimez pas les gens» – tout en les aimant quand même un peu, à tout le moins certains d'entre eux, ne serait-ce que par charité chrétienne; vous n'en critiquerez que plus férocement ceux qui prétendent aimer tout le monde tout en inondant ce même monde de leur fielleuse médisance. Laissez la hargne et la petitesse aux autres, à ceux que vous n'aimez pas. Soyez des râleurs admirables; nobles; aristocratiques.

Si vous parvenez réellement à un tel degré de perfection, alors vous serez en droit, non pas de rendre grâce à Dieu de ce que vous n'êtes pas comme le reste des hommes – autant d'orgueil vous rétrograderait –, mais au contraire de Lui reprocher de ne pas avoir créé tout le monde à votre image.

Pollux

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