Encore la politique d'asile
L'arrêt récent de la Cour européenne des droits de l'homme dans le dossier d'une famille afghane que la Confédération se préparait à renvoyer en Italie, en application du règlement dit «Dublin II», a créé une grande émotion. Philippe Barraud, dans commentaires.com, et plusieurs politiciens ont prédit que cette décision allait apporter de l'eau au moulin des défenseurs de la primauté du droit suisse sur les accords internationaux.
Dans le cas particulier, il serait faux d'accuser les juges de Strasbourg de nous imposer des règles, en vertu des accords internationaux, qui seraient en contradiction avec le droit suisse. En ordonnant de renvoyer en Italie – où 64'000 migrants sont déjà installés alors que la capacité d'accueil n'excède pas 8'000 places –, sans s'occuper des conditions dans lesquelles cette famille serait traitée à son arrivée, la Suisse se préparait à violer non seulement les accords internationaux qu'elle a ratifiés, notamment l'art. 3 de la CEDH qui proscrit les traitements inhumains ou dégradants, mais également sa propre législation.
Cet arrêt met en lumière les limites des législations nationales et internationales sur les migrations de population. Depuis plus de quarante ans, nous défendons l'idée que le droit d'asile aurait dû rester le droit, pour un Etat souverain, d'accueillir sur son territoire une personne exposée, dans son Etat d'origine ou dans le pays de sa dernière résidence, à de sérieux préjudices en raison de sa race, de sa religion, etc… mais nullement le droit opposable, comme on dit en France, pour le requérant, de bénéficier du statut de réfugié s'il satisfait à cette définition.
Le droit interne et les conventions internationales ont été pensés et mis en vigueur dans la perspective d'une dizaine, voire d'une centaine de cas par année. Cette vision de bisounours a incité les âmes charitables à inventer un droit subjectif du migrant à obtenir un statut de réfugié, avec voies et délais de recours ordinaire et extraordinaire. Cette conception a évidemment créé un fantastique appel d'air: tous les malheureux du Tiers-Monde sont incités à tenter leur chance en Europe, laquelle, notamment depuis la chute de Kadhafi, est littéralement débordée. Comme il n'existe aucune règle communautaire de répartition ou de péréquation, les Etats où débarquent les migrants, la Grèce et l'Italie, sont submergés et n'ont réellement plus les moyens d'assurer aux requérants un accueil simplement décent.
Dans ces conditions, on ne peut leur faire grief de prendre des libertés avec les règles de Dublin II en «oubliant» d'enregistrer les requérants qui transitent par leur territoire avec l'intention affichée de requérir l'asile en Suisse, en France ou en Angleterre.
Mais le strict respect des procédures ne résoudra rien. Aussi longtemps qu'il y aura des milliers de malheureux, voire des dizaines de milliers de personnes qui subissent ou risquent de subir chez eux de sérieux préjudices en raison de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques, et que l'Europe leur conférera un droit subjectif à obtenir l'asile, l'invasion n'aura aucune raison de cesser. Elle va au contraire s'amplifier.
Les âmes charitables nous affirment que la barque n'est pas pleine, que nos capacités d'accueil sont encore larges, que les traditions humanitaires de la Suisse nous obligent à montrer l'exemple. A titre individuel, cependant, peu d'entre eux sont disposés à accueillir un requérant dans la chambre d'amis et à lui faire une place autour de la table familiale.
Il n'empêche que le flux migratoire n'a aucune raison de se tarir, et l'Europe risque la submersion si elle ne modifie pas fondamentalement sa politique sur l'asile. A défaut d'une politique concertée de l'ensemble des Etas européens, la Suisse peut mener une politique en Alleingang, car elle bénéficie d'un avantage sur beaucoup d'autres: elle n'a aucun accès à la mer. Dès lors, à moins d'arriver par la voie des airs, les requérants ne peuvent arriver aux frontières suisses qu'en quittant un autre Etat, réputé sûr, dans lequel le migrant aurait dû s'enregistrer. Il suffit dès lors de garder nos frontières avec diligence, et nous n'aurons à traiter aucune demande d'asile, ni ne serons dans l'obligation de renvoyer un requérant ni chez lui ni en Italie. Il suffit de ne pas le laisser entrer.
Et pour ceux qui sont déjà là, il suffit de les traiter avec dignité et charité, mais dans des conditions d'inconfort telles que les migrants économiques s'empresseront de retirer leur demande d'asile et de rentrer chez eux, comme l'ont fait récemment des Roms hongrois, au lieu de se plaindre d'être logés dans des abris PC pourtant assez confortables pour les soldats en cours de répétition.
La fermeture effective des frontières ne nécessite aucune modification ni de nos lois ni des conventions internationales. Elle n'implique pas de conférer un privilège au droit international par rapport au droit interne. Elle ne fait que manifester notre souveraineté.
Il sera toujours possible, après cette affirmation, de manifester notre solidarité avec les Etats de l'Union européenne par la conclusion d'accords multilatéraux visant à répartir équitablement les migrants dans les différents pays, en fonction de critères à définir, par exemple le nombre d'habitants par kilomètre carré habitable, le PIB ou la proportion d'étrangers par rapport à la population totale.
C.P.
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