Le loup et l’agneau

Il y a dans l’actualité des débats n’ayant pas lieu d’être dans la mesure où certains principes généraux vont de soi. Celui-ci, par exemple: dans le canton de Lucerne, un loup pourra être abattu après avoir égorgé vingt-sept moutons, et encore! dans un délai de soixante jours. Débats dans la presse. Qu’en penser?

Protéger la faune est légitime; dénaturer des rapports entre animaux ne l’est plus du tout. Les victimes de prédateurs carnassiers, félins en Afrique ou en Asie, loups dans nos pays, ont dans leur constitution et leur instinct des moyens de défense parce qu’elles sont des animaux sauvages. Ce n’est pas le cas des animaux domestiques. En conséquence, ce n’est pas favoriser les qualités propres de chasseur d’un prédateur naturel que de lui offrir pratiquement des mangeoires de chairs vivantes; c’est même, par un renversement des normes de la nature, le traiter en quelque sorte en animal lui aussi domestique. Il y a, dans la tolérance de ces pratiques, un authentique mensonge écologique.

Le système juridique qui autorise ce genre d’abus, voire l’encourage par des indemnisations dont le caractère perfide est démontrable, est lui-même antinaturel et l’on peut affirmer qu’il heurte aussi la morale, car nous avons des devoirs envers les animaux, ce que le publiciste bernois Charles-Louis de Haller, fils du célèbre Albert de Haller, reconnaissait explicitement dans son traité de science politique, au chapitre XIV de l’Introduction, consacré aux bornes de la puissance. Ce qui frappe dans ces nouvelles normes et l’insensibilité que celles-ci révèlent chez le législateur, c’est que l’on y conçoit un prétendu droit d’exposition au danger délibéré d’êtres vivants placés naturellement sous la protection humaine, alors que ce comportement est un délit; c’est qu’il faille un nombre suffisant de victimes pour justifier une attaque de prédateur, de qui, par ailleurs, on dénature l’instinct de chasse.

Il y a dans cette dissociation de la puissance et du devoir de protection, qui lui est naturellement lié, une grave dérive dans la pensée juridique. Et l’on perçoit cette dérive ailleurs que dans ce domaine précis, à l’intérieur des rapports humains, tant sur le plan séculier que religieux. Le Christ nous en avertit en nous apprenant à nous méfier des loups déguisés en agneaux. N’en disons pas plus, mais rappelons simplement le mot du roi Salomon, dont la sagesse inspirée dénonce ici clairement ce retour à la barbarie: «Le juste prend soin de la vie de ses bêtes, mais les entrailles des méchants sont cruelles.» [1]

NOTES:

[1] Proverbes, chap. XII, verset 10.

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