On risque l'émeute!
Ils ont un culot phénoménal, ces socialistes français qui veulent ériger un Front républicain avec les sarkozystes, leurs adversaires naturels, contre le FN, qui est devenu, sans tenir compte des abstentionnistes, le premier parti de France, alors qu'il n'est représenté à l'Assemblée que par deux députés sur cinq cent septante-sept.
A l'heure où ces lignes sont rédigées, on ignore si le Front national a pu transformer l'essai, comme on dit au rugby, dans une ou plusieurs régions où cette formation est arrivée en tête.
Mais l'affolement de la classe politique était visible le soir du 6 décembre, lorsque les Socialistes et les Républicains ont compris que c'en était peut-être fini de leurs prébendes, de leurs magouilles, des subventions généreuses accordées à leurs petits copains, ou des enveloppes destinées à récompenser l'attribution sélective des marchés publics.
D'abord, il y a le salaire de conseiller régional (de 1520 à 2661 euros par mois, alors que le montant mensuel net du SMIC est de 1136 euros) et surtout les revenus annexes et connexes offerts aux partis et aux groupes par les prestataires de services en tous genres, du parc informatique à l'enlèvement des ordures ménagères, en dehors de tout appel d'offres.
Il y a aussi les «chargés de mission», fils, fille, neveu et nièce d'un conseiller régional, largement rétribués pour une prestation difficile à définir.
On nous rejoue le film du Front républicain qui a permis à Chirac d'être élu avec 85% des voix: le FN, c'est l'extrême-droite, c'est le fascisme, c'est le repli sur soi, c'est la catastrophe économique!
Il est vrai que le programme du parti de Marine Le Pen n'est pas très convaincant en matière d'économie politique, de politique monétaire ou d'échanges internationaux. Mais qui sont les nains grotesques qui le critiquent? De quelles performances, de quels succès peuvent se prévaloir les ricaneurs qui n'ont pas cessé d'adopter, depuis trente ans, les solutions les plus absurdes, qui n'ont su endiguer ni le chômage ni l'insécurité, qui n'ont pas su éviter que les plus belles industries passent en mains étrangères ou tombent en faillite, qui ont toléré sans broncher que les palaces les plus prestigieux et que les domaines viticoles les plus réputés soient acquis par des Chinois?
Dans une chronique publiée dans son blog Bonnet d'âne hébergé par Causeur, le journaliste Jean-Paul Brighelli prophétise: «Si la semaine prochaine le FN, arrivé en tête dans la plupart des régions, est renvoyé dans les cordes de façon à ce que les nantis restent à leurs postes comme des morpions dans des poils pubiens; si dans un an et demi avec des scores encore améliorés le FN est réduit à la portion congrue à l'Assemblée, après avoir été l'épouvantail qui permettra la réélection de Hollande – eh bien, ça se passera dans la rue. (…) Quand la démocratie se caractérise par le déni de démocratie, le peuple choisit toujours la rue (…).»
Cette hypothèse doit être prise au sérieux. Le fossé ne cesse de se creuser, en France, entre les petits malins qui profitent du système, le cul bien calé dans leur fauteuil de député, sénateur, conseiller régional, départemental ou municipal, et le pays réel qui souffre, les entreprises qui ferment ou qui délocalisent, les agriculteurs qui se suicident, les vieux qui ne sont pas aussi bien traités que les migrants sans papiers, les chômeurs sans avenir parce que sans diplôme ni compétences, et les jeunes Maghrébins des banlieues sinistrées, qui doivent affronter des regards suspicieux dès qu'ils sortent de leurs ghettos.
Il y a maintenant trois partis en France. Les Républicains et les Socialistes doivent s'en accommoder loyalement, comme les deux aînés d'une fratrie doivent sans enthousiasme accueillir le petit dernier qui les frustre de l'attention maternelle et qui diminue leur part héréditaire.
Le Front national n'a jamais exercé le pouvoir, sauf au niveau communal, et on doute qu'il puisse être aussi mauvais que les gouvernements de Chirac, de Sarkozy ou de Hollande.
Marcel Regamey disait qu'on peut déterminer comment un parti gouvernera lorsqu'il sera au pouvoir, en observant comment il est organisé à l'interne. A ce test, les amis des libertés et du droit ne seront pas rassurés: les purges au sein du Front national, les exclusions et les anathèmes contre tous les courants susceptibles d'entraver la dédiabolisation laissent entrevoir un mode de gouvernance assez musclé: pas de catholiques tradi, pas d'homophobes, et pas de critiques à l'égard de la politique israélienne.
Malgré cette intransigeance, beaucoup rêvent d'une victoire de Marine Le Pen, de Florian Philippot et surtout de Marion, la plus charmante des petites pestes du clan.
Claude Paschoud
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