Editorial
«Si vous voulez éviter que les cambrioleurs ne cassent tout, après avoir pénétré chez vous en votre absence, laissez votre argent et vos bijoux en évidence sur la table du salon, ainsi que la clé du coffre.»
C'est le message que pourrait adresser à ses administrés un Etat qui aurait décidé de faire l'économie d'un corps de police, en expliquant que les effectifs qu'il faudrait mettre sur pied, pour prévenir les cambriolages, seraient de toute façon insuffisants à éviter les effractions et que, dès lors, mieux vaut être réaliste et s'adapter à la pénurie pour éviter des dommages supplémentaires.
La loi sur l'asile a été conçue à la fin de la dernière guerre, pour quelques dizaines de requérants par an. Le préambule de la Convention du 28 juillet 1951 inspirée par l'ONU reconnaît qu'en cas d'afflux, il peut résulter de l'octroi du droit d'asile des charges exceptionnellement lourdes pour certains pays [et dès lors] que la solution satisfaisante des problèmes dont l'Organisation des Nations Unies a reconnu la portée et le caractère internationaux ne saurait, dans cette hypothèse, être obtenue sans une solidarité internationale.
Actuellement, cette solidarité internationale n'est exigée que des pays européens. Quand bien même les migrants qui se prétendent «exposés à de sérieux préjudices» sont tous issus de pays africains ou asiatiques, et que le pays sûr le plus proche, pour un Syrien ou un Erythréen, devrait être l'Arabie séoudite plutôt que la Suisse, des milliers d'étrangers pénètrent sur notre territoire chaque mois en se prévalant du droit d'asile, par quoi il faut entendre non pas ce qu'il était à l'origine, le droit pour un Etat d'accueillir des réfugiés, mais le droit subjectif accordé à tout étranger qui satisfait aux conditions posées par la définition onusienne à l'article premier de la Convention, et à l'article 3 de la loi suisse, d'obtenir l'asile.
La loi sur laquelle le peuple suisse est appelé à se prononcer le 5 juin (modification du 25 septembre 2015 de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile, RS 142.31) est une tentative d'organisation du désordre: sachant que la Suisse va être submergée de plusieurs dizaines de milliers de migrants qu'on aura laissés pénétrer sur le territoire; qu'on ignore par quel Etat européen, réputé sûr, ces gens ont transité pour arriver chez nous par voie terrestre puisqu'il n'existe plus de contrôle aux frontières, il ne sera pas possible, juridiquement, d'exiger de l'Italie, de l'Autriche ou de l'Allemagne (qui auront oublié de les enregistrer) leur réadmission en vertu des accords de Dublin.
Il faudra donc ouvrir des procédures, avec auditions, hébergement, conseils juridiques, voies de recours ordinaires et extraordinaires, et décisions de renvoi inexécutables, faute d'accords de réadmission.
Si l'on admet que l'invasion des migrants en Europe est inévitable, voire, comme on l'entend quelquefois, que les Etats européens ont un devoir moral d'accueillir sur leur sol, d'héberger et d'entretenir les millions d'Africains ou de Proche-Orientaux qui aspirent à l'amélioration de leur situation matérielle, alors le projet de Mme Sommaruga, qui va accélérer les procédures, serait admissible, sous la réserve toutefois de l'assistance juridique «gratuite» et des possibilités d'expropriation, deux aspects du projet qui devraient en justifier le rejet.
Mais il faut repousser cette loi pour une raison plus fondamentale: c'est qu'elle est fondée sur des prémisses fausses. Si les frontières terrestres étaient dûment contrôlées, les seuls requérants d'asile pour lesquels une procédure devrait être ouverte arriveraient par la voie des airs, avec des documents d'identité valables et authentiques.
On m'objecte que ces contrôles seraient une entrave à la libre circulation acceptée par un accord international. Faux! L'ALCP n'implique pas la libre circulation de personnes dépourvues de documents d'identité. On m'objecte encore l'insuffisance de personnel chez les gardes-frontières. J'admets que le rétablissement des contrôles systématiques demandera la coopération de l'armée, dans un premier temps, et un effort accru de recrutement et de formation. On m'objecte le coût. Cet argument n'est pas sérieux si l'on songe aux économies réalisées par la Confédération, par les cantons et par les communes si plus un seul «migrant» ne pouvait entrer en Suisse par voie terrestre. On m'objecte enfin le manque de solidarité au sein de l'Europe si les principales victimes de l'invasion, Grèce et Italie, doivent assumer seules l'accueil et l'hébergement.
D'abord, nous ne sommes pas membres de l'Union européenne et les ukases de la Commission ne nous concernent pas. Ensuite, et même si nous n'avons pas de conseils à donner au gouvernement italien, il est évident que si sa marine porte secours aux embarcations de migrants et les aide à accoster au lieu de les obliger à rebrousser chemin, il encourage les candidats à la migration à tenter leur chance. Enfin, les traditions d'accueil et d'hospitalité dont on nous rebat les oreilles n'impliquent nullement qu'on doive accepter l'invasion de sa maison par une tribu qui vous prie aujourd'hui de vous replier dans la pièce du fond et qui exigera demain que vous vous conformiez à son mode de vie.
Le refus de la loi sur l'asile, le 5 juin prochain, n'implique pas la pérennité du statu quo mais le début d'une prise de conscience. Il faut rétablir un strict contrôle des frontières.
Claude Paschoud
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