Les Hautes Ecoles spécialisées victimes de l’administration

Dans un communiqué de presse diffusé le 11 mai dernier, la Fédération des Associations de Professeurs des Hautes écoles spécialisées suisses hes-ch (1) s’inquiète de la place croissante prise par l’administration des HES au détriment des fonds alloués à l’enseignement: «La qualité des hautes écoles spécialisées, et par conséquent leur réputation, dépend prioritairement de la qualité de l'enseignement donné, ainsi que du niveau de sa recherche appliquée. Les deux ne peuvent prospérer que si l'administration n’agit pas comme une charge mais comme un soutien. A cet effet, il convient de la maintenir le plus possible à un niveau de simples prestataires de service, et de laisser le plus de pouvoir décisionnel possible à ceux qui sont in fine responsables de la qualité, à savoir les enseignants.»

Dans la dernière édition de leur publication, fh-ch (2), MM. Robert Ruprecht et Gaston Wolf s’expriment notamment comme suit:

«(…)l'administration continue de croître allègrement, tandis que bien des enseignants voient leurs conditions de travail se détériorer au point de mettre en danger la qualité de la formation, et que l'enseignement a de moins en moins de ressources à sa disposition.

(…)

La distance entre les organes dirigeants et le fonctionnement réel des hautes écoles est encouragée par le fait qu’ils ont de plus en plus les pleins pouvoirs. Les sphères dirigeantes sont organisées aujourd’hui sans participation des professeurs. Les structures qui étaient autrefois fidèles à l’esprit général d’une haute école, donc le plus horizontales possibles (du moins dans certaines écoles), sont aujourd’hui de plus en plus verticales. Les postes de recteurs et autres doyens, autrefois élus pour des législatures, sont devenus des mandats à durée illimitée. Les rectorats peuvent décider de leurs besoins, et croient pouvoir, mieux que les personnes concernées, statuer sur ceux qui sont in fine responsables de la réputation et du niveau des hautes écoles, à savoir les enseignants.

(…)

A l’heure actuelle, on doit malheureusement constater que l'administration est de fait une charge supplémentaire pour l'enseignement et la Ra&D. C'est notamment le cas si on pense aux administrations centralisées des hautes écoles spécialisées. Celles-ci tentent de rassembler des écoles complètement différentes sous un carcan administratif unique qui ne convient à plus personne. Au contraire. Les décisions ne peuvent plus être prises par les personnes directement concernées, car il faut dorénavant passer par de lourdes structures centralisées et totalement inadaptées.

Le succès avéré des écoles avec une longue histoire au niveau tertiaire (notamment les anciennes écoles d’ingénieurs) est dû à la réactivité que permettait la minceur de leurs structures. La création des hautes écoles spécialisées a porté un coup fatal à cet atout. D'année en année, cette perte d’efficacité devient de plus en plus évidente.

(…)

Ce n'est que par un retour à une administration beaucoup plus légère que les HES ont une chance de pouvoir s’acquitter de leur mandat sur le long terme, même s’il faut pour cela diviser les grosses structures mises sur pied ces dernières années en organisations plus légères et plus réactives. Dans une période où la réputation des HES doit souvent encore être construite, il convient de donner à ces considérations l’importance qu’elles méritent.

Ces demandes n'impliquent pas de charges administratives supplémentaires.»

Le soussigné, qui a commencé à enseigner (le droit) dans une école d’ingénieurs en 1974, soit bien avant qu’elle ne devienne un simple département de la HEIG-VD, elle-même rouage de la HES-SO, peut en témoigner. A l’époque où l’école était dirigée par un Raymond Gaille, et surtout par un Bernard Keller, la simplicité des structures administratives permettait de fructueuses collaborations transfrontalières, la création en quelques semaines d’un nouveau cours, des conférences de professeurs qui n’étaient pas, comme aujourd’hui, une chambre d’enregistrement des décisions prises par des directeurs aussi arrogants qu’incompétents. On formait alors des ingénieurs ETS.

Ce qui faisait la valeur du titre, ce n’était pas qu’il était reconnu par Berne, par Bruxelles ou par Bologne, mais qu’il l’était par les bureaux d’ingénieurs, dans le monde, qui avaient bénéficié de la collaboration des diplômés issus de cette école.

En créant les HES, en imposant l’unicité de certaines filières en des lieux déterminés, en contraignant vingt étudiants domiciliés à Lausanne à aller suivre le cours d’un professeur (lausannois) à Yverdon ou à Neuchâtel, en plaçant sous la houlette d’une direction administrative unique vingt-sept écoles réparties sur trente-trois sites, avec un Comité stratégique, un Conseil consultatif, un Comité directeur et un organigramme digne d’une multinationale, on ne pouvait évidemment pas faire des économies, mais on obtenait – ô miracle – des subventions fédérales, moderne plat de lentilles qui justifie pour les benêts l’abandon de toutes les compétences décisionnelles cantonales.

Bientôt, Berne (ou Bruxelles, ou Bologne, je ne sais) décidera que tout enseignement de niveau universitaire doit être dispensé en anglais. Et nos écoles de pleurnicher qu’elles n’avaient pas voulu cela, mais que les engagements financiers pris ne permettent pas de se priver des subventions… et que le respect des directives de Berne (ou de Bruxelles…voir plus haut) est une condition sine qua non de la manne!

Décidément, en matière d’enseignement de qualité, la taille de l’école n’est pas indifférente. Comme on dira dans quelques années, avec nostalgie: small was beautiful.

NOTES:

1) www.fh-ch.ch

2) Hofmatt 42, 5112 Thalheim.

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