Editorial

Au moment où paraîtra ce numéro du Pamphlet, le Conseil national se sera penché sur l’initiative de l’UDC «pour le renvoi des étrangers criminels» et sur le contre-projet que le parti libéral-radical et le PDC veulent lui opposer.

Comme l’observe Mme Valérie de Graffenried dans le Temps1, «rien n’est gagné: le parti socialiste, les Verts et l’UDC, majoritaires à la Chambre, peuvent ensemble faire capoter le contre-projet».

Le piège est bien tendu: soit la gauche, en refusant un contre-projet manifestement presque conforme à l’original, améliore les chances de l’initiative si elle est présentée seule devant le peuple; soit elle doit soutenir un contre-projet qu’elle estime pourtant trop contraignant.

On rappelle que l’initiative de l’UDC, illustrée par le fameux mouton noir, a recueilli 210'000 signatures en un temps record. Ce n’est guère étonnant dans la mesure où le texte proposé par les initiants est, de prime abord, tout à fait raisonnable, puisqu’il impose aux autorités de renvoyer les étrangers «s’ils ont été condamnés par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d’une autre nature tel que le brigandage, la traite d’êtres humains, le trafic de drogue ou l’effraction» ou «s’ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale».

Certes, le droit actue l2 permet déjà le renvoi des étrangers délinquants, mais la loi est rédigée de façon potestative (l’autorité peut révoquer une autorisation…) et les cantons ont, en cette matière, des marges de tolérance assez larges. L’introduction dans la Constitution fédérale des alinéas 3 à 8 (nouveaux) de l’article 121 et de l’art. 197 ch. 8 transformerait pour les autorités de police des étrangers et pour les tribunaux une possibilité en une obligation.

Le texte de cette initiative respecte aussi bien la Constitution fédérale que le droit international. La Commission fédérale contre le racisme allègue que l’application de l’initiative de l’UDC augmenterait le risque d’inégalité de traitement «dictée par des motifs racistes», car «les renvois ne frapperaient que des ressortissants de pays hors UE et AELE».

On se demande où elle est allée chercher une idée aussi absurde. Rien, dans l’initiative, ne marque un privilège à l’égard des criminels originaires d’un pays de l’Union européenne, et l’article 5 alinéa 1 de l’annexe à l’accord sur la libre circulation des personnes réserve expressément la limitation des droits à la libre circulation «pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique».

On a le sentiment que le contre-projet, maintenant soutenu en commission par les libéraux-radicaux, les démocrates chrétiens et même par les socialistes, est exclusivement destiné à des fins électoralistes: à part les Verts, tout le monde s’accorde à reconnaître que la criminalité des étrangers est un vrai problème, qui requiert des solutions urgentes. Dès lors, un contre-projet un peu mou, qui reprend l’essentiel de l’initiative en y ajoutant une fine couche de bons sentiments (un article sur l’intégration) aura le mérite électoral de démontrer que la gauche et le centre se préoccupent aussi de la sécurité, et que la gauche et le centre sont aussi opposés aux abus observés au détriment des assurances sociales et des services sociaux. Ainsi, on ne laissera pas à l’UDC le mérite d’avoir identifié un vrai problème, et d’y avoir, elle seule, proposé une solution.

Les dames libérales qui offrent de leur temps précieux à Amnesty International pourront ainsi, à l’heure du thé et des macarons, régaler leurs invitées de propos nuancés sur la nécessité qu’il y a de «faire quelque chose», mais sans tomber dans les griffes de l’extrême-droite.

Nos hôtes étrangers honnêtes, qui constituent évidemment l’écrasante majorité des étrangers qui vivent en Suisse, ont eux-mêmes un avantage indéniable au renvoi des brebis galeuses, dont les exploits criminels leur créent un préjudice d’image.

On l’a vu récemment avec les déclarations de M. Alard du Bois-Reymond, directeur de l’Office fédéral des migrations (ODM), qui observait que les 99,5 % des requérants d’asile nigérians n’avaient pas la moindre chance d’obtenir le statut de réfugiés, qu’ils le savaient, et qu’ils venaient en Suisse pour faire «des affaires». Cette simple constatation de fait a pu être interprétée comme si le patron de l’ODM, grand connaisseur de l’Afrique et marié lui-même à une Congolaise, avait affirmé que tous les Noirs sont des trafiquants de drogue. Même M. Yvan Perrin, vice-président de l’UDC, s’était ému du constat, ce qui est un comble.

Les étrangers constituent les 21 % de la population suisse, les naturalisés n’étant, évidemment, pas comptés comme des étrangers. Selon le rapport final d’un groupe de travail constitué par l’ODM il y a neuf ans déjà, il y aurait eu 82 % de délinquants étrangers parmi les condamnés pour bagarres et agressions, 80 % de délinquants étrangers parmi les condamnés pour trafic de drogues et 64 % de délinquants étrangers parmi les condamnés pour cambriolages.

Aujourd’hui, la situation est probablement pire. Il est urgent de prendre des mesures.

Claude Paschoud

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1 vendredi 21 mai 2010

2 art. 62-68 LEtr: RS 142.20

Thèmes associés: Politique fédérale

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