L'agriculture: un choix de société
«Devant Pilate, un jour, après ses paroles divines, le Sauveur sembla consacrer le procédé par lequel la nature nous enseigne; il imita son sublime silence et rendit muettement, comme elle, témoignage à la vérité.»
A.-D. Sertillanges, O.P.: La vie catholique, V: La vie avec la nature, éd. Lecoffre, Paris 1929, p. 62
La Ligue vaudoise a consacré, tout au long du mois de mars, son séminaire annuel au thème, ô combien important, de la paysannerie, thème lié par nature à l’insertion de l’homme et des sociétés dans leur environnement particulier, au respect du travail humain non pas au seul regard d’une rentabilité abstraite dans l’approche de l’économie, mais précisément à l’évaluation de cette rentabilité à l’aune de mesures d’appréciation plus complexes, tenant compte de la nature spécifique du travail agricole ainsi que de l’insertion de celui-ci dans des réseaux de relations humaines où la famille, le droit de succession, la diversité des conditions topographiques et géographiques imposent un traitement à part, toutes considérations dont le pouvoir politique ne saurait, sans faire violence à la justice, se distancer, manquant alors gravement à son devoir de service public.
C’est un principe de justice incontestable que le travail de chacun trouve, dans la société dans laquelle il s’exerce, une rémunération naturelle, c’est-à-dire conforme à la qualité et à l’utilité des biens et des valeurs produites. Et c’est aussi un principe de justice sociale que cette rémunération puisse éventuellement prendre appui sur une raisonnable protection des pouvoirs publics à l’encontre d’une concurrence, dès lors que celle-ci utilise des règles arbitraires ou injustes pour fausser les équilibres de la saine concurrence, données par la nature elle-même. A cet égard, deux règles sont absolument incontournables: les sociétés mises en concurrence doivent être homogènes, c’est-à-dire pratiquer pour des produits semblables le même prix de revient et, dans la fixation du prix au marché, le coût du transfert international doit se répercuter dans le prix payé par le consommateur local, afin de respecter le juste privilège du lieu de production.
Si les règles de droit international ne respectent plus ces deux conditions fondamentales, on ne peut plus honnêtement parler que de concurrence déloyale imposée.
En conséquence, le sérieux de toute action politique de défense de la paysannerie se définit par le constat premier que l’assimilation du travail agricole au travail industriel est une hérésie, car l’activité agricole n’est pas une simple activité de transformation «annexe de l’industrie» (voir citation ci-après), que l’agriculture biologique est l’activité agricole au sens traditionnel, mais que celle-ci ne saurait être considérée comme un commerce diététique, disposant de filières particulières, très souvent contrôlées par les grands trusts alimentaires, enfin que la défense de la viabilité du monde agricole dans le cadre d’une restauration intégrale de l’agriculture biologique requiert une main-d’œuvre abondante, qualifiée et indépendante.
Jean-Clair Davesne, dans un livre paru en 1989, L’agriculture assassinée1, était parfaitement conscient de la totale incompatibilité de cette approche du travail et du régime agricole avec la vision technocratique moderne, mais il soulignait que seule l’agriculture biologique obéit à la nature des choses, refusant de se soumettre et de soumettre cette activité à l’esprit de lucre: «Dans la société moderne qui ne veut connaître que l’industrie et la vie urbaine avec ses activités factices, son étatisme tentaculaire, sa mentalité d’assistés irresponsables, son culte de l’argent pour l’argent et du plaisir pour le plaisir, société qui a réduit l’agriculture à une simple activité annexe de l’industrie, à une simple activité de transformation, l’agriculture biologique est-elle possible? Je pense qu’avec lucidité et courage il faut répondre non.
(…)
Il est évident que l’agriculture biologique est incompatible avec un schéma qui ne suppose que 2% de producteurs agricoles intégrés, alors que l’agriculture traditionnelle ne peut avoir sa pleine efficacité que dans une société paysanne organisée et bien structurée, support d’une civilisation qui a fait la force et la prospérité de notre patrie. Tel est le fond du problème; il s’agit beaucoup moins de technique et d’agronomie que d’un choix de société.»2
Michel de Preux
_________________________________________
1 Edtions de Chiré, Chiré-en-Montreuil, F-86190 Vouillé.
2 Op. cit., pp. 21 / 211.
A.-D. Sertillanges, O.P.: La vie catholique, V: La vie avec la nature, éd. Lecoffre, Paris 1929, p. 62
La Ligue vaudoise a consacré, tout au long du mois de mars, son séminaire annuel au thème, ô combien important, de la paysannerie, thème lié par nature à l’insertion de l’homme et des sociétés dans leur environnement particulier, au respect du travail humain non pas au seul regard d’une rentabilité abstraite dans l’approche de l’économie, mais précisément à l’évaluation de cette rentabilité à l’aune de mesures d’appréciation plus complexes, tenant compte de la nature spécifique du travail agricole ainsi que de l’insertion de celui-ci dans des réseaux de relations humaines où la famille, le droit de succession, la diversité des conditions topographiques et géographiques imposent un traitement à part, toutes considérations dont le pouvoir politique ne saurait, sans faire violence à la justice, se distancer, manquant alors gravement à son devoir de service public.
C’est un principe de justice incontestable que le travail de chacun trouve, dans la société dans laquelle il s’exerce, une rémunération naturelle, c’est-à-dire conforme à la qualité et à l’utilité des biens et des valeurs produites. Et c’est aussi un principe de justice sociale que cette rémunération puisse éventuellement prendre appui sur une raisonnable protection des pouvoirs publics à l’encontre d’une concurrence, dès lors que celle-ci utilise des règles arbitraires ou injustes pour fausser les équilibres de la saine concurrence, données par la nature elle-même. A cet égard, deux règles sont absolument incontournables: les sociétés mises en concurrence doivent être homogènes, c’est-à-dire pratiquer pour des produits semblables le même prix de revient et, dans la fixation du prix au marché, le coût du transfert international doit se répercuter dans le prix payé par le consommateur local, afin de respecter le juste privilège du lieu de production.
Si les règles de droit international ne respectent plus ces deux conditions fondamentales, on ne peut plus honnêtement parler que de concurrence déloyale imposée.
En conséquence, le sérieux de toute action politique de défense de la paysannerie se définit par le constat premier que l’assimilation du travail agricole au travail industriel est une hérésie, car l’activité agricole n’est pas une simple activité de transformation «annexe de l’industrie» (voir citation ci-après), que l’agriculture biologique est l’activité agricole au sens traditionnel, mais que celle-ci ne saurait être considérée comme un commerce diététique, disposant de filières particulières, très souvent contrôlées par les grands trusts alimentaires, enfin que la défense de la viabilité du monde agricole dans le cadre d’une restauration intégrale de l’agriculture biologique requiert une main-d’œuvre abondante, qualifiée et indépendante.
Jean-Clair Davesne, dans un livre paru en 1989, L’agriculture assassinée1, était parfaitement conscient de la totale incompatibilité de cette approche du travail et du régime agricole avec la vision technocratique moderne, mais il soulignait que seule l’agriculture biologique obéit à la nature des choses, refusant de se soumettre et de soumettre cette activité à l’esprit de lucre: «Dans la société moderne qui ne veut connaître que l’industrie et la vie urbaine avec ses activités factices, son étatisme tentaculaire, sa mentalité d’assistés irresponsables, son culte de l’argent pour l’argent et du plaisir pour le plaisir, société qui a réduit l’agriculture à une simple activité annexe de l’industrie, à une simple activité de transformation, l’agriculture biologique est-elle possible? Je pense qu’avec lucidité et courage il faut répondre non.
(…)
Il est évident que l’agriculture biologique est incompatible avec un schéma qui ne suppose que 2% de producteurs agricoles intégrés, alors que l’agriculture traditionnelle ne peut avoir sa pleine efficacité que dans une société paysanne organisée et bien structurée, support d’une civilisation qui a fait la force et la prospérité de notre patrie. Tel est le fond du problème; il s’agit beaucoup moins de technique et d’agronomie que d’un choix de société.»2
Michel de Preux
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1 Edtions de Chiré, Chiré-en-Montreuil, F-86190 Vouillé.
2 Op. cit., pp. 21 / 211.
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