Ceinture de sécurité (I) – Historique
A l'heure où nous mettons sous presse – comme on dit chez nos confrères – il paraît certain que le début sur la ceinture de sécurité obligatoire, qui devait avoir lieu cette session encore au Conseil national, sera reporté après les élections: les parlementaires sont déchirés entre deux fidélités. Celle qu'ils doivent à l'électeur les porterait à ne pas brimer de façon trop visible les dernières libertés qui lui restent. Celle qui découle de leur présence au conseil d'administration de deux ou trois grandes compagnies d'assurances les porterait à suivre les mots d'ordre de celles-ci sans les soumettre à la moindre critique.
Mais en juillet ou en octobre, il faudra bien qu'on en parle.
Nos lecteurs les plus fidèles nous pardonneront de revenir sur une question que nous avons déjà abordée plusieurs fois depuis janvier 1976, date de création de l'Association contre les abus technocratiques ACAT. Mais au point où nous en sommes arrivés, il nous paraît indispensable de faire le point. Ce premier article est consacré à un historique de la question.
10 mars 1975
Le Conseil fédéral promulgue une ordonnance prescrivant le port obligatoire des ceintures de sécurité pour les passagers avant des véhicules de tourisme.
La base légale de cette disposition était l'article 57/1 de la LCR qui stipule: Le Conseil fédéral peut édicter des règles complémentaires de circulation…
16 décembre 1975
€ l'instigation du conseiller communal Daniel Bovet (lib), le législatif lausannois vote une résolution recommandant à la Municipalité de n'appliquer l'ordonnance «qu'avec tous les ménagements souhaitables pour l'intérêt public»
Janvier 1976
Entrée en vigueur de l'ordonnance. Article du Pamphlet et fondation de l'ACAT.
Des sections se créent dans les cantons de Vaud, Genève, Valais, Neuchâtel, Tessin et Fribourg.
Janvier 1976
Avant qu'aucune étude sérieuse n'ait été faite sur la question, l'Institut de médecine légale de Zurich (Dr Walz) déclare à un représentant de l'ATS:
Les initiatives visant à supprimer cette obligation de porter la ceinture – qui se traduisent souvent par les actions en justice – doivent être démantelées dès le début…
1er mars 1976
Interpellation du député Gautier (lib. GE) au Conseil national, appuyée par 14 autres conseiller demandant au Conseil fédéral d'abroger l'ordonnance.
Juin 1976
Le Conseil fédéral répond à l'interpellation Gautier (document 76308) en copiant un rapport du Dr Walz.
Le rapport affirmait:
- Que la base légale du 57/1 était suffisante
- Les objections selon lesquelles les ceintures se révéleraient non seulement inutiles mais dangereuses dans certaines circonstances d'accidents reposent sur les suppositions et n'ont aucune valeur scientifique (Rapport p. 4)
- On connaît bien sûr quelques cas où des personnes ayant été éjectées sont retombées sur quelque chose de mou (p. ex. une meule de foin)…Mais ces cas sont tellement rares… (page 5)
- Jusqu'à ce jour, nous ne connaissons aucun cas dans lequel on a pu prouver que la ceinture s'est révélée plus néfaste qu'utile (page 7)
Il convient de remarquer que le Dr Walz (et son porte-parole, le Conseil fédéral) avait tort sur les 4 points.
- La base légale était insuffisante, comme le Tribunal fédéral le confirmera
- De nombreuses études scientifiques avaient déjà paru à cette époque traitant des lésions spécifiques de la ceinture de sécurité: (Dans son ouvrage paru en janvier 1975, M. Jerôme Spycket donnait les titres de 49 ouvrages et articles traitant de la question)
- Le Dr Walz sera obligé d'admettre plus tard que le problème de l'éjection est plus complexe qu'il ne le croyait. Il se référera lui-même à une étude de M.C. Tarrière où «60,6% des occupants éjectés survécurent» On était déjà loin des quelques cas sur une meule de foin!
- les cas où la ceinture se révéla plus néfaste qu'utile se chiffraient déjà à cette époque par dizaines, dûment recensés. Deux d'entre eux faisaient l'objet d'une jurisprudence: les 11 et 13 mars 1975 en les Cours d'Appel de Paris et Besançon.
Mai 1977
Publication d'une étude de l'IML de Zurich (Dr Walz et Dr Ulrich Zollinger) pour le compte du département de justice et police.
Cette étude (qui vient de remporter le 5e prix de la médecine de l'ACS) démontre que sur 410 automobilistes ceinturés victimes d'accidents, la ceinture fut
utile dans 185 cas (45,12%)
inutile dans 210 cas (51,22%)
nuisible dans 5 cas (1,22%).
Bien entendu, on présentera ce document à la presse sans insister sur la constatation due la ceinture fut inutile ou nuisible dans plus de la moitié des cas, mais en portant ‘accent sur le nombre faible de cas où elle fut nuisible (5 cas sur 410) et en truquant encore le pour-cent en affirmant que cela représente le 0,65% des cas. Sur cette manipulation, voir notre article paru dans la Revue Automobile, Berne, le 1er juin 1978 et dans le Jura Bernois de Saint-Imier le 2.6.78
11-14 mai 1977
XXXVe Congrès international de langue française de médecine légale et de médecine sociale, Dijon.
Le professeur G. Piganiol affirme: La ceinture est-elle dangereuse? Certainement puisqu'elle est capable d'entraîner elle-même des lésions, d'en augmenter la fréquence et parfois la gravité et même dans certains cas, d'être responsable de la mort. L'appréciation exacte des risques est très mal connue et l'innocuité de la ceinture le plus souvent surestimée.
2 septembre 1977
Le Tribunal fédéral donne raison à Jean-Pierre Favre, secrétaire de l'ACAT Valais: l'ordonnance du Conseil fédéral n'a pas de base légale suffisante (RO 1977 IV 192) L'obligation tombe.
19 septembre 1977
M. le député Auer (rad BL) et 80 autres parlementaires, tous alémaniques sauf deux, déposent une motion demandant au Conseil fédéral de préparer un projet de révision de la LCR réintroduisant le port obligatoire de la ceinture et du casque pour les motocyclistes.
22 mai 1978
Le DFJP ou une procédure de consultation au sujet de son projet de modification de la LCR.
Ne disposant que des statistiques du BPA et de la prose du Dr Walz, les milieux intéressés et les cantons se prononcent à une forte majorité pour la réintroduction de l'obligation.
23 octobre 1978
M. Jérôme Spycket tient conférence de presse à Paris pour faire part d'une stupéfiante découverte: les statistiques officielles du SETRA (organisme dépendant du Ministère des transports) démontrent que le port de la ceinture n'a eu en France, depuis 1972 aucun effet global quelconque, ni positif ni négatif.
21 décembre 1978
Les révélations de M. Spycket suscitent la réunion d'une conférence autour de M. Gérondeau, secrétaire général du comité de la sécurité routière. Interpellé au sujet de cette réunion, M. R. Pansard, secrétaire général de la prévention routière en France avouait dans une lettre du 24 janvier 1979:
Personne ne peut actuellement connaître les effets de la ceinture en France. Des chiffres extrêmement différents ont été avancés qui n'ont pas permis de conclure; aussi envisageons-nous de reprendre le problème.
Lire au sujet de cette déclaration l'excellent commentaire de notre confrère G. Baumgartner dans la Revue Automobile (Berne) du 31 mai 1979.
Pour nous prouver les vertus de l'obligation, le BPA a fait grand cas d'une augmentation du nombre des victimes de la route après le jugement du Tribunal fédéral.
Or, on constate que la courbe accuse en effet une augmentation en Suisse, mais on découvre aussi que la statistique française (où la ceinture n'a jamais cessé d'être obligatoire depuis 1972) et la statistique italienne (où la ceinture n'a jamais été obligatoire) laissent apparaître des courbes absolument parallèles à la nôtre. La baisse du taux du port de la ceinture, qui était présentée comme l'unique responsable de cette augmentation, pourrait bien être tout à fait innocente.
Ce tour d'horizon «historique» aura montré, nous l'espérons, que la ceinture dite «de sécurité» n'a peut-être pas tous les effets bénéfiques que lui prête la propagande officielle.
Mais même dans le cas où ses vertus l'emporteraient sur ses vices, même si la ceinture ne devait tuer qu'une fois sur cent, il faudrait rendre son port facultatif, comme nous le démontrerons dans un prochain article.
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