Une société aliénante
«Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action.»
Henri Bergson
Imaginez un échange entre trois personnes sur un sujet grave. La première expose un point de vue original mais entaché d’erreurs ne mettant toutefois pas en cause la qualité et la pertinence de son principal argument. La deuxième, très intelligente et de culture étendue, apprécie ce propos, en relève l’intérêt, passe sur les erreurs secondaires, sans incidence sur le fond de la question soulevée. Quant à la troisième personne, d’intelligence limitée et courte, peu instruite mais suffisamment pour s’en prévaloir à temps et à contretemps, elle attire l’attention sur les erreurs adventices qui ont l’avantage de mettre en valeur sa maigre culture. On l’aura compris: la seconde personne fait preuve de tolérance et la troisième d’intolérance. La seconde était un interlocuteur désintéressé, la troisième non. Car c’est témoigner de sa faiblesse personnelle que de chercher chez autrui l’erreur sans autre motif que de se faire valoir soi-même. Et c’est à l’inverse manifester une réelle force d’esprit que de mettre en valeur une personne plus faible que soi quand il est juste et opportun de le faire.
Mardi 27 avril dernier, le magazine de David Pujadas, Les infiltrés, sur France 2, était consacré à L’extrême droite du père – avec un p minuscule quand bien même, de toute évidence, il s’agissait du Père éternel !... Le milieu traditionaliste d’obédience lefebvriste était visé dans son ensemble à travers un groupuscule bordelais ouvertement néonazi, raciste et farouchement antisémite, vocabulaire de caserne à l’appui. Une école, un enseignant, un membre du FN et un prêtre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X occupant une charge locale étaient également présents dans ce reportage, censé définir la teneur intellectuelle et morale du milieu traditionaliste dans son ensemble. L’amalgame était, là, incontestablement de rigueur… Mais sortirent tout de même de ces pensées plutôt brutes quelques vérités de très haute tenue: l’impasse de la démocratie moderne et de ses faux «débats d’idées», la spécificité de la religion chrétienne et sa valeur transcendante par rapport à toutes les autres religions païennes, d’humaine fabrique, la permanente nécessité du patriotisme et l’objectivité des valeurs morales.
Présents au débat qui suivit ce reportage évidemment orienté par une sélection très opportune, deux ecclésiastiques notamment: l’abbé Aulagnier, ancien supérieur du district de France de la Fédération sacerdotale Saint-Pie X, mais exclu de son association à la suite de son ralliement à Benoît XVI, et le très médiatique abbé de La Morandais. Le premier représenterait assez bien la deuxième personne de notre débat théorique. Incisif, son confrère progressiste dans le sacerdoce parla très tôt de… «double langage» des milieux traditionalistes catholiques. Il était, cela va sans dire, mais beaucoup mieux en l’écrivant, fort satisfait de l’amalgame concocté par l’auteur de l’émission, David Pujadas! Avec Caroline Fourest et Frédéric Lenoir, ils représentaient à eux trois le troisième personnage de notre débat théorique. Pour ces gens-là, la caricature n’est pas gênante mais utile, ni injuste mais opportune, à la fois inconsistante et délibérée. Elle est tout simplement une preuve de vérité imposée sans que le qualificatif soit même pensé, puisque, désormais, le milieu du journalisme est le nouveau magistère social.
De quelle vérité s’agit-il? De celle, également relevée par un musulman, pour lequel je plaiderais l’indulgence: l’échec patent des valeurs dites «républicaines» ou «démocratiques», qui ne parviennent pas à s’imposer aux consciences. Nos traditionalistes pronazis partageaient curieusement ce même constat, sans s’en accommoder, à la différence des autres, pour qui la non-croyance peut très bien faire office de fondement éthique et métaphysique dans la vie sociale, chacun choisissant dans ce jardin ce qui lui plaît ou lui convient, mais à condition de respecter le choix des autres. Ce credo nihiliste est aujourd’hui partagé par tous les bénéficiaires, religieux aussi bien que laïcs, de l’actuel système de non-croyance publique. Nous sommes là dans le domaine d’une pensée essentiellement intéressée ou, si vous préférez, du règne imposé de l’opinion érigée en dogme formel au moins sur ces deux plans, religieux et éthique. J’ai alors en mémoire cette réflexion d’un politologue bernois, Charles-Louis de Haller, sur une opposition qui aujourd’hui nous opprime par ses sophismes et dont tous les pharisiens et les sadducéens du siècle veulent que nous ne sortions plus jamais: «Le fanatisme, avec ses crimes et ses forfaits, prouve néanmoins que, sous son empire, les hommes reconnaissent encore quelque chose de supérieur à l’homme. Et quelqu’odieux que soit le fanatisme, n’est-il pas préférable à l’indifférence absolue, à cet assoupissement léthargique entre la vérité et l’erreur, entre le bien et le mal, à cette apathie mortelle, incapable de tout effort et de toute vertu, qui rend le mal incurable en paralysant le principe de la vie? Tandis que vous trouverez encore dans le fanatique le zèle et l’ardeur de l’apôtre, pressez le cœur de l’indifférent, il n’en sortira que de la fange.»1
Oui, il faut sans doute assumer cette faiblesse du camp traditionaliste, parce que sa survie n’en dépend pas. Cette faiblesse, qui est pour les médiocres censée définir ce camp, n’en est qu’une scorie accidentelle. A l’inverse, ceux qui, dans cette confrontation, adoptent avec ostentation et dans le désordre le port et le parti facilement honorable de la Loi, des grands principes démocratiques modernes, ignorent qu’ils sont tout simplement les nouveaux idolâtres, les nouveaux adorateurs de faux dieux que, tôt ou tard, la divine Providence révélera à eux-mêmes – il faut l’espérer – et au monde quand ils se verront contraints de persécuter ouvertement les réfractaires, c’est-à-dire les fidèles du Christ, les membres sincères de son Eglise, et que ces derniers, préservés de tout faux espoir et de toute utopie, choisiront, comme leurs devanciers des premiers siècles de l’ère chrétienne, non de verser le sang des autres, mais le leur, en toute charité chrétienne.
Michel de Preux
1 Restauration de la science politique, tome III, Chap. XLVIII: maintien de la considération personnelle et du respect dans l’intérieur du pays; force morale, p. 31/2.
Henri Bergson
Imaginez un échange entre trois personnes sur un sujet grave. La première expose un point de vue original mais entaché d’erreurs ne mettant toutefois pas en cause la qualité et la pertinence de son principal argument. La deuxième, très intelligente et de culture étendue, apprécie ce propos, en relève l’intérêt, passe sur les erreurs secondaires, sans incidence sur le fond de la question soulevée. Quant à la troisième personne, d’intelligence limitée et courte, peu instruite mais suffisamment pour s’en prévaloir à temps et à contretemps, elle attire l’attention sur les erreurs adventices qui ont l’avantage de mettre en valeur sa maigre culture. On l’aura compris: la seconde personne fait preuve de tolérance et la troisième d’intolérance. La seconde était un interlocuteur désintéressé, la troisième non. Car c’est témoigner de sa faiblesse personnelle que de chercher chez autrui l’erreur sans autre motif que de se faire valoir soi-même. Et c’est à l’inverse manifester une réelle force d’esprit que de mettre en valeur une personne plus faible que soi quand il est juste et opportun de le faire.
Mardi 27 avril dernier, le magazine de David Pujadas, Les infiltrés, sur France 2, était consacré à L’extrême droite du père – avec un p minuscule quand bien même, de toute évidence, il s’agissait du Père éternel !... Le milieu traditionaliste d’obédience lefebvriste était visé dans son ensemble à travers un groupuscule bordelais ouvertement néonazi, raciste et farouchement antisémite, vocabulaire de caserne à l’appui. Une école, un enseignant, un membre du FN et un prêtre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X occupant une charge locale étaient également présents dans ce reportage, censé définir la teneur intellectuelle et morale du milieu traditionaliste dans son ensemble. L’amalgame était, là, incontestablement de rigueur… Mais sortirent tout de même de ces pensées plutôt brutes quelques vérités de très haute tenue: l’impasse de la démocratie moderne et de ses faux «débats d’idées», la spécificité de la religion chrétienne et sa valeur transcendante par rapport à toutes les autres religions païennes, d’humaine fabrique, la permanente nécessité du patriotisme et l’objectivité des valeurs morales.
Présents au débat qui suivit ce reportage évidemment orienté par une sélection très opportune, deux ecclésiastiques notamment: l’abbé Aulagnier, ancien supérieur du district de France de la Fédération sacerdotale Saint-Pie X, mais exclu de son association à la suite de son ralliement à Benoît XVI, et le très médiatique abbé de La Morandais. Le premier représenterait assez bien la deuxième personne de notre débat théorique. Incisif, son confrère progressiste dans le sacerdoce parla très tôt de… «double langage» des milieux traditionalistes catholiques. Il était, cela va sans dire, mais beaucoup mieux en l’écrivant, fort satisfait de l’amalgame concocté par l’auteur de l’émission, David Pujadas! Avec Caroline Fourest et Frédéric Lenoir, ils représentaient à eux trois le troisième personnage de notre débat théorique. Pour ces gens-là, la caricature n’est pas gênante mais utile, ni injuste mais opportune, à la fois inconsistante et délibérée. Elle est tout simplement une preuve de vérité imposée sans que le qualificatif soit même pensé, puisque, désormais, le milieu du journalisme est le nouveau magistère social.
De quelle vérité s’agit-il? De celle, également relevée par un musulman, pour lequel je plaiderais l’indulgence: l’échec patent des valeurs dites «républicaines» ou «démocratiques», qui ne parviennent pas à s’imposer aux consciences. Nos traditionalistes pronazis partageaient curieusement ce même constat, sans s’en accommoder, à la différence des autres, pour qui la non-croyance peut très bien faire office de fondement éthique et métaphysique dans la vie sociale, chacun choisissant dans ce jardin ce qui lui plaît ou lui convient, mais à condition de respecter le choix des autres. Ce credo nihiliste est aujourd’hui partagé par tous les bénéficiaires, religieux aussi bien que laïcs, de l’actuel système de non-croyance publique. Nous sommes là dans le domaine d’une pensée essentiellement intéressée ou, si vous préférez, du règne imposé de l’opinion érigée en dogme formel au moins sur ces deux plans, religieux et éthique. J’ai alors en mémoire cette réflexion d’un politologue bernois, Charles-Louis de Haller, sur une opposition qui aujourd’hui nous opprime par ses sophismes et dont tous les pharisiens et les sadducéens du siècle veulent que nous ne sortions plus jamais: «Le fanatisme, avec ses crimes et ses forfaits, prouve néanmoins que, sous son empire, les hommes reconnaissent encore quelque chose de supérieur à l’homme. Et quelqu’odieux que soit le fanatisme, n’est-il pas préférable à l’indifférence absolue, à cet assoupissement léthargique entre la vérité et l’erreur, entre le bien et le mal, à cette apathie mortelle, incapable de tout effort et de toute vertu, qui rend le mal incurable en paralysant le principe de la vie? Tandis que vous trouverez encore dans le fanatique le zèle et l’ardeur de l’apôtre, pressez le cœur de l’indifférent, il n’en sortira que de la fange.»1
Oui, il faut sans doute assumer cette faiblesse du camp traditionaliste, parce que sa survie n’en dépend pas. Cette faiblesse, qui est pour les médiocres censée définir ce camp, n’en est qu’une scorie accidentelle. A l’inverse, ceux qui, dans cette confrontation, adoptent avec ostentation et dans le désordre le port et le parti facilement honorable de la Loi, des grands principes démocratiques modernes, ignorent qu’ils sont tout simplement les nouveaux idolâtres, les nouveaux adorateurs de faux dieux que, tôt ou tard, la divine Providence révélera à eux-mêmes – il faut l’espérer – et au monde quand ils se verront contraints de persécuter ouvertement les réfractaires, c’est-à-dire les fidèles du Christ, les membres sincères de son Eglise, et que ces derniers, préservés de tout faux espoir et de toute utopie, choisiront, comme leurs devanciers des premiers siècles de l’ère chrétienne, non de verser le sang des autres, mais le leur, en toute charité chrétienne.
Michel de Preux
1 Restauration de la science politique, tome III, Chap. XLVIII: maintien de la considération personnelle et du respect dans l’intérieur du pays; force morale, p. 31/2.
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