Manipulations
Le 24 juin 2022, la Cour suprême des Etats-Unis révoquait le droit constitutionnel à l'avortement dont jouissaient les Américaines depuis 1973, laissant à chaque Etat la compétence de légiférer en la matière. Cette décision a provoqué de nombreuses manifestations en faveur du «droit à l'avortement». Le mensuel Réformés et la pseudo-Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) se devaient donc de faire savoir aux protestants romands ce qu'il convenait de penser de cette affaire1.
Rassurez-vous: je ne vais pas vous parler d'avortement, mais de la façon dont des gens qu'on pourrait croire intègres manipulent les faits et la théologie.
Le magazine Réformés est grand et l'agence de presse Protestinfo, en l'occurrence le journaliste Lucas Vuilleumier, est son prophète. Quant à l'EERS, elle prêche par la voix du théologien et éthicien Frank Mathwig.
Prié par Lucas Vuilleumier de donner son avis sur la décision de la Cour suprême américaine, le messager de l'EERS donne le ton d'emblée: «Ce jugement porte une atteinte massive aux libertés et aux droits de la personne. Il sert la stratégie de la morale conservatrice visant à restreindre le droit fondamental à l'intégrité physique et à une sexualité autodéterminée. (…)»
On reconnaît là l'arrogance de l'«expert», qui refuse d'entrée de cause tout argument éventuel que des tenants de la «morale conservatrice» pourraient opposer à son idéologie progressiste, tout comme les «experts» du Covid descendaient en flamme les «complotistes».
Interrogé sur le caractère sacré de la vie voulu par Dieu, le théologien éthicien est on ne peut plus catégorique: «(…) D'un point de vue biblique, seul Dieu lui-même est sacré. Si les êtres vivants étaient sacrés, ils ne seraient plus du côté des créatures, mais du côté du Créateur. C'est pourquoi la théologie réformée s'oppose systématiquement à la divinisation de la vie. (…)»
Répondre à côté de la question en jouant, par exemple, sur les mots «divinisation» et «sacré», qui ne sont nullement synonymes, est une technique éprouvée des manipulateurs. Quant à la référence à l'autorité de la «théologie réformée», on me permettra d'en rire: sans aller jusqu'à prétendre qu'il y a autant de «théologies réformées» que de théologiens réformés, j'ai entendu dans ma vie suffisamment de sermons et lu assez de commentaires pour savoir qu'il n'existe pas de «théologie réformée» reconnue par tous les réformés. Mais l'argument d'autorité est souvent efficace et constitue aussi une forme de manipulation.
Il y a un certain nombre d'autres perles dans cette interview, notamment l'affirmation selon laquelle «La loi sur l'IVG n'est pas dirigée contre un enfant à venir, mais protège la femme enceinte dans sa constellation physique et psychique unique. (…)»
Vous y comprenez quelque chose? Moi pas. Le langage hermétique pseudo-savant permet aussi de manipuler les foules.
Quand le journaliste de Protestinfo pose la question du sixième commandement, «Tu ne tueras pas», l'«expert» de l'EERS se surpasse: «L'interdiction biblique de tuer présuppose des conditions sociales et politiques spécifiques dans lesquelles il est possible de faire la distinction entre les personnes (nées) qui commettent un acte et celles qui en sont victimes. (…)» Or, selon notre donneur de leçons et si paradoxal que cela puisse paraître, la relation entre la femme enceinte et le fœtus «est trop intime pour le sixième commandement».
Tentative d'explication: la relation entre la femme enceinte et le fœtus est tellement intime qu'elle ne permet pas de faire la distinction entre la personne (née) qui choisit de faire mourir et la personne (non née) qui meurt.
La mauvaise foi est une énième façon de manipuler les esprits.
Les ficelles de la propagande sont bien connues et l'interview de M. Mathys n'en est qu'une illustration de plus.
La vieille adepte de la «morale conservatrice» que je suis ne nourrit aucune illusion quant à l'EERS et à ses courroies de transmission. Elle en nourrit peu en ce qui concerne l'Eglise vaudoise, qui verse elle aussi dans les idéologies à la mode.
Mais est-ce vraiment trop demander aux institutions qui sont censées nous servir de guides spirituels que de faire au moins preuve d'un minimum de décence et d'honnêteté, ne serait-ce que par égard pour les réformés «conservateurs», qui financent aussi les Eglises protestantes de ce pays et leurs porte-parole?
M. P.