Que demande le peuple?

Nous peinons à comprendre l’intérêt que portent certains de nos compatriotes à la politique française. Celle-ci n’offre, tout compte fait, que le spectacle affligeant d’un panier de crabes furieux, d’un champ de bataille semé de chausse-trappes, où la logique partisane l’emporte sur l’intérêt général et où adversaires et alliés se haïssent avec une égale ardeur tout en pillant hardiment et de concert les dernières richesses du pays profond; spectacle aussi d’une nation divisée contre elle-même, où les individus se détestent et s’invectivent, une nation plongée dans un chaos permanent d’où ne sort aucune politique intelligente, utile et rassembleuse.

La politique américaine est du même tonneau. Les Démocrates, qui sont fondamentalement acquis à l’idée de république, réfléchissent moins à ce qui est bon pour l’Amérique qu’à ce qui pourrait mettre en difficulté les Républicains, lesquels sont fondamentalement acquis à l’idée de démocratie et réfléchissent moins à ce qui est bon pour l’Amérique qu’à ce qui peut mettre en difficulté les Démocrates. Et ce n’est pas un grand rouquin turbulent qui changera quoi que ce soit à cet échange de mauvais procédés.

Dans les autres démocraties occidentales, ce n’est pas mieux. Même en Suisse, l’opportunisme électoral amène certains élus «souverainistes» – dont nous souhaiterions pourtant qu’ils ne nous déçoivent jamais – à flirter occasionnellement avec des idées de gauche, tandis que d’autres ne trouvent rien de mieux à faire que de forcer théâtralement des cordons de police au Palais fédéral pour «faire le buzz», comme on dit, et jouer sur l’indignation de braves gens pas très futés.

On peut difficilement s’étonner, après cela, qu’une partie de l’opinion publique éprouve une admiration plus ou moins assumée, et parfois un peu maladroite, pour des régimes dits «illibéraux» où l’ordre règne (à tout le moins vu d’ici) et où le chef est capable de s’imposer comme un chef pendant plusieurs décennies, en prenant des décisions qui, même si nous les jugeons objectivement contestables, correspondent tout de même à une certaine conception des intérêts de la nation plutôt qu’à un électoralisme de bas étage.

Ce n’est pas tout à fait anodin, car cela signifie que certains de nos concitoyens commencent à remettre en question le caractère sacré et indépassable de la démocratie – cette forme de non-gouvernement qu’on impose aux peuples par la force et où des individus obnubilés par leur seule élection, puis réélection, font semblant de se préoccuper de l’avis de gens qui n’en ont pas; où les individus les plus inaptes à la conduite de la chose publique et surtout les plus incapables de penser passent leur temps à déclarer: «Moi je pense que…», en répétant ce que dit la majorité de leurs voisins, de leurs collègues ou des médias de grand chemin.

On réalise, en quelque sorte, qu’une entreprise dirigée par un patron charismatique produit davantage de bons fruits qu’une cafétéria autogérée.

Pollux

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