Editorial
Notre système politique, notre démocratie semi-directe et la structure même de notre pays sont vus depuis l’extérieur soit avec une condescendance bienveillante, «ces petits Suisses sont bien gentils, mais ils feraient mieux de s’aligner», soit avec une curiosité incrédule, «comment ça, les Suisses ont voté contre une semaine de vacances supplémentaire?».
On ne mesure pas bien, depuis l’intérieur, à quel point la Suisse fait figure d’exception. Vivant en Catalogne depuis maintenant dix-huit ans, je suis assez fréquemment amené à expliquer les particularités du système suisse à mes amis et connaissances, qui, sans exception, manifestent leur enthousiasme devant la possibilité pour le peuple d’influencer les décisions politiques en dehors de l’élection de ses représentants.
Car en Espagne comme en France, les hommes et femmes politiques sont des professionnels qui, trop souvent, n’ont jamais rien fait d’autre dans la vie et manquent de l’expérience qui permet une vision claire du chemin à suivre. On rêve d’un ministre de la santé médecin, d’un ministre de la culture écrivain, d’un ministre des transports ingénieur en génie civil, etc. Mais les portefeuilles importent peu, tant que l’on maintient ses fesses fermement encastrées dans le fauteuil du pouvoir.
L’idée même de démocratie parlementaire se base sur le fait que les élus, représentants des citoyens, devraient avoir à cœur de gérer avec précaution les biens communs et les impôts, d’œuvrer honnêtement à l’amélioration constante des conditions de vie des habitants et de faire preuve d’abnégation pour le bien de tous. La réalité est tout autre et l’on peut l’observer de façon particulièrement criante en Espagne, où la femme et le frère du chef du gouvernement sont impliqués dans des scandales de trafic d’influence et d’emploi fictif, et où les deux principaux partis, le Partido Popular et le Partido Socialista Obrero Español, ne comptent plus leurs membres mis en examen pour corruption.
En quoi la Suisse est-elle si différente? La politique suisse est lente et ennuyeuse. Les conseillers fédéraux sont élus par l’Assemblée fédérale et la plupart des citoyens sont incapables de les citer les sept. Pas de grand spectacle, mais des représentants du peuple qui sont des miliciens, exerçant une activité professionnelle et assumant leur charge politique en plus; et, par-dessus tout, le droit d’initiative et de référendum, qui obligent nos élus à chercher en tout temps des compromis qui puissent obtenir l’adhésion d’une majorité solide au sein des différents partis. Cela prend plus de temps, certes, mais les projets qui aboutissent sont durables, ce qui offre une grande sécurité juridique et une meilleure confiance dans les institutions, attirant ainsi en Suisse les capitaux étrangers.
Si l’on revient à notre comparaison avec l’Espagne, la situation est complètement inversée. Durant des décennies, il n’existait que deux forces politiques qui se partageaient les voix des Espagnols, les deux grands partis cités plus haut. La situation a un peu évolué ces dernières années avec l’apparition de forces plus «extrêmes» des deux côtés de l’hémicycle, mais cela n’a pas apporté de changements fondamentaux. Les deniers publics sont dilapidés de façon absolument indécente et une armée de conseillers qui dépendent d’innombrables ministères sont payés des sommes ridiculement élevées en comparaison des revenus normaux des citoyens. Les partis passent leur temps à se tirer dans les pattes et à s’autoféliciter des abominables résultats obtenus, dilapidant des fortunes en subventions de tous poils avec l’unique objectif d’acheter les voix des électeurs et de maintenir leur emprise sur les rênes du pouvoir.
On ne mesure peut-être pas toujours la chance que nous avons de vivre en Suisse.
Michel Paschoud
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