Une armée? Pour quoi faire?

Une armée, pour quoi faire? Une armée pour défendre le territoire, l’indépendance et la souveraineté de la Suisse? Une armée qui donne la priorité à des activités subsidiaires au service des autorités civiles et d’organismes étrangers ? Une armée qui flatte l’ego des autorités fédérales et les aide à soigner le complexe d’infériorité et le sentiment de culpabilité qui les habitent depuis que notre pays a été contraint de se pencher sur son ignoble passé de collabo?

Avant de rédiger le présent exposé, je me suis documentée à diverses sources et j’ai consacré, évidemment, la plus grande attention au Rapport du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale sur la politique de sécurité de la Suisse du 23 juin 2010 et au Rapport sur l’armée du 1er octobre 2010.

Du zèle coopératif…

L’impression générale que j’ai retirée de la lecture de ces rapports est que le Conseil fédéral voit dans l’armée, principalement, un instrument d’appui aux autorités civiles en cas d’événements extraordinaires comme le Forum de Davos, la réunion du G8 de 2003, la Coupe d’Europe de football de 2008 ou le Sommet de la Francophonie de cet automne, événements qui nécessitent un service d’ordre et de protection considérable et coûteux que les cantons concernés ne peuvent pas assumer seuls, mais aussi événements de portée internationale et donc propres à mettre en valeur la bonne volonté et le zèle coopératif de la Suisse à l’égard de ce qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale. Certes, le rapport mentionne d’autres types d’aide aux autorités civiles moins axés sur le prestige de la Confédération: on ne peut exclure chez nous des attentats terroristes, des désordres sociaux ou des catastrophes naturelles. Mais, à l’exception de ces dernières, les risques restent pour l’instant assez théoriques, semble-t-il.

Le conseil fédéral voit dans l’armée, deuxièmement, une possibilité de contribuer, par les engagements internationaux de contingents suisses, «à la stabilité dans les pays et régions de l’engagement ainsi qu’à la crédibilité et à l’image positive de la Suisse». Là encore, le souci de la bonne réputation de la Confédération est patent et se traduit par l’envoi de militaires, armés ou non, dans des pays tiers, sous l’égide de l’ONU ou de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, ou encore dans le cadre du Partenariat pour la Paix de l’OTAN, tous organismes dans lesquels, comme par hasard, les Etats-Unis, qui avaient joué un rôle déterminant dans les attaques portées contre la Suisse dans les années nonante, exercent une forte influence, pour ne pas dire, dans le cas de l’ONU et de l’OTAN, une influence prépondérante. Qu’on ne voie pas dans ces propos une manifestation d’hostilité irrationnelle à l’endroit des Etats-Unis et de leurs alliés favoris. Mais je ne peux m’empêcher de constater que la Suisse a adhéré au Partenariat pour la Paix de l’OTAN le 11 décembre 1996, soit deux jours avant l’institution de la Commission indépendante d’Experts, ou commission Bergier, chargée d’élucider, en toute objectivité bien sûr, le rôle de la Suisse pendant la deuxième guerre mondiale; cela après la méchante guerre menée contre la Suisse lors de l’affaire des fonds en déshérence principalement par le Congrès juif mondial et les USA. Penser que ces événements, y compris le scandaleux acte de repentance perpétré par Kaspar Villiger au nom de la Suisse le 7 mai 1995, sont liés relève-t-il de la théorie du complot? Je ne le crois pas. Je ne peux m’empêcher de penser que l’autorité fédérale se croit obligée, sous couleur de solidarité, de coopération ou de crédibilité, d’expier les fautes passées supposées de notre pays en manifestant en toute occasion sa soumission à des Etats prétendument amis qui, en réalité, ne nous veulent pas de bien.

… Au démantèlement de la défense

Naturellement, la défense du territoire est mentionnée à plusieurs reprises dans le Rapport sur la politique de sécurité, mais la notion de maintien de l’indépendance et de la souveraineté du pays cède le pas à celle de protection du droit à l’autodétermination, concept wilsonien puis onusien qui en dit long sur l’asservissement du Conseil fédéral à l’idéologie des Nations Unies. De plus, comme la menace d’une guerre classique n’est pas à l’ordre du jour, Berne estime qu’il sera toujours temps de se préparer sérieusement à une éventuelle attaque contre la Suisse quand la menace pointera à l’horizon, c’est-à-dire dans très très longtemps, et qu’il convient pour l’instant de ramener la préparation à la portion congrue en réduisant les effectifs et en remplaçant la quantité par la qualité.

Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas étonnant que sur les huitante mille militaires que comptera dorénavant l’armée suisse trente-cinq mille soient affectés aux missions d’appui aux autorités civiles et mille aux engagements à l’étranger, ce qui revient à dire que 45% – presque la moitié – des effectifs travailleront pour le prestige du Conseil fédéral (celui-ci n’a pas osé augmenter le nombre des volontaires affectés aux missions à l’étranger, mais il a annoncé que les engagements allaient se multiplier, ce qui le conduira inéluctablement à réclamer des renforts d’ici pas longtemps). En revanche, ce qu’on nous décrit pompeusement comme le maintien et le développement de la compétence globale de défense est dévolu à vingt-deux mille personnes, soit à 27,5% ou à peine plus d’un quart des hommes – et femmes – engagés dans l’armée, le dernier quart assumant des tâches en rapport plus ou moins étroit avec la défense.

Il n’est pas étonnant que l’armée rencontre des difficultés à recruter des cadres. Qu’y a-t-il d’exaltant à commander des troupes qui montent la garde devant des barbelés sur le quai d’Ouchy, ou dont on sait qu’elles ne seraient pas aptes à assurer leur mission de défense en cas de changement de la menace plus rapide que prévu?

Il n’est pas étonnant que les demandes d’affectation au service civil aient explosé. Pourquoi aller monter la garde devant des barbelés sur le quai d’Ouchy, sous les yeux d’une population sceptique et souvent opposée aux nuisances occasionnées par le grand événement qui mobilise la police et la troupe ? Pourquoi se décarcasser pour une force de défense bidon quand on peut tranquillement pousser des fauteuils roulants dans un établissement médico-social en compagnie de petites grand-mères dégoulinantes de reconnaissance, tout en prouvant par la durée – mais avec des horaires de fonctionnaires – qu’on n’est pas des tire-au-flanc?

Il n’est pas étonnant que les crédits alloués à l’armée soient en baisse constante.

Il n’est pas étonnant que le Groupe pour une suisse sans armée ait jugé le moment venu de lancer une initiative pour la suppression de l’obligation de servir, premier pas vers une suppression pure et simple de l’armée.

Il n’est pas étonnant que la suppression de l’armée reparaisse dans le programme du parti socialiste.

Il n’est pas étonnant que le Conseil fédéral, loin d’exclure une intégration à l’Union européenne ou à l’OTAN, considère simplement que celle-ci «n’est dans un proche avenir ni impérative du point de vue de la politique de sécurité, ni susceptible de réunir une majorité sur le plan de la politique intérieure». En somme, le moment n’est pas encore arrivé, mais ça viendra, surtout si les communicateurs du Palais fédéral font correctement leur travail de propagande. Après tout, nous avons fini par entrer à l’ONU!

Il n’est pas étonnant enfin que le Conseil fédéral ait remplacé par une neutralité élastique, parfaitement compatible, paraît-il, avec les interventions de troupes suisses au service de l’étranger, la neutralité intégrale, qui est le seul moyen de faire comprendre à la fameuse communauté internationale que nous ne sommes inféodés à personne, que nous sommes décidés à n’intervenir nulle part et que nous n’avons pas l’intention de nous abriter sous le parapluie d’une quelconque instance internationale. Encore faudrait-il cesser d’avoir honte de cette neutralité qui nous est reconnue depuis 1815, mais qui cessera de l’être si nos politiciens continuent à faire les guignols sur la scène internationale, à lécher les bottes des puissants et à démontrer que ce dont a le plus besoin un pays pour se doter des moyens de résister à un ennemi, à savoir la volonté de défense, fait défaut chez eux, comme elle commence à faire défaut dans la population aussi.

Armée forte ou parapluie étranger

Alors, une armée, pour quoi faire? Pour assumer sa mission traditionnelle qui consiste à faire de la Suisse un hérisson; pour appuyer les autorités civiles en cas de troubles sociaux ou de catastrophes. Peu m’importe la forme ou l’organisation de cette armée, pourvu qu’elle soit prête à remplir sa tâche.

Mais si la doctrine qui prévaut actuellement devait perdurer, je pense qu’il faudrait renoncer à l’armée, confier les opérations à l’étranger à des milices privées financées, par exemple, par les investisseurs qui participent à la lucrative reconstruction des pays où nos volontaires s’en vont promouvoir la paix, et supprimer l’impôt fédéral direct afin de permettre aux cantons d’augmenter leurs impôts sans étrangler le contribuable, de renforcer leurs forces de police et de décider souverainement si, en plus du maintien de l’ordre et de la gestion des catastrophes, ils veulent ou non participer, ensemble ou séparément, à des opérations de prestige comme celles que j’ai évoquées au début de cet exposé.

Il ne resterait plus qu’à augmenter la TVA de quelques points pour financer le tribut dû aux puissances tutélaires qui seraient disposées à nous servir de parapluie en cas d’orage.

Mariette Paschoud

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