Alerte sur la ville
C'est odieux, mais c'est ainsi: tout ce que la Suisse romande compte de fastidieux scribouillards danse avec délectation autour du cadavre d'une jeune fille de seize ans, enlevée et assassinée par un déséquilibré. Un crime sordide! Qu'y a-t-il de plus exaltant pour permettre à nos faiseurs d'opinion de jouer aux justiciers? Déjà, le coupable est désigné: c'est la société. L'assassin est un malade dont les pouvoirs publics ne se sont pas suffisamment occupés. Un cas que les «experts» n'ont pas su «gérer». Ce sont les autorités qui n'ont pas réagi assez vite, qui ne se sont pas assez coordonnées. Et surtout, surtout, répètent les éditorialistes, c'est la Suisse – l’unique objet de leur ressentiment – qui n'a pas su, qui n'a pas voulu mettre en place un véritable «plan d'alerte enlèvement».
Toute la rogne méchante des journalistes se concentre donc désormais sur ce seul élément: le «plan d'alerte enlèvement que tous les autres pays connaissent et que les autorités suisses tardent insupportablement à mettre en place!» Quelques fielleux ajoutent que «c'est la faute du fédéralisme!»
En réalité, bien d'autres Etats n'ont pas voulu introduire un tel dispositif, qui déploie généralement ses effets trop tard et risque d'inquiéter inutilement la population pour des disparitions le plus souvent anodines. Les seuls exemples que l'on nous cite sont la France et les Etats-Unis. Or le dispositif français, tel qu'on nous l'explique, ne peut être déclenché qu'à certaines conditions très strictes: il faut que l'enlèvement soit avéré, que la victime soit mineure, que son intégrité physique ou sa vie soit en danger, que des éléments d'information permettent de localiser l'enfant ou le suspect et que les parents aient donné leur accord1.
Dans le cas de la jeune Lucie – qui, à ce que l'on nous dit, a suivi de plein gré son agresseur, lequel lui avait proposé de «faire des photos» –, ces conditions n'étaient sans doute pas remplies et ce fameux plan n'aurait été d'aucun secours. Les spécialistes affirment aussi que, lorsqu'un enlèvement est suivi d'un homicide, ce dernier survient presque toujours très rapidement, dans un délai d'une à trois heures, soit bien avant que l'alerte urbi et orbi ne déploie ses effets.
Mais peu importe le sort de Lucie: c'est tellement grisant de pouvoir ainsi morigéner les politiciens, les houspiller, les sommer d'agir vite même si cela ne sert à rien. «Comment pouvez-vous refuser de faire quelque chose d'inutile alors que la vie de nos enfants est en jeu?» Et les politiciens, toujours en quête d'une réélection, vont obtempérer servilement aux exigences des médias. Déjà les premiers communiqués fusent, annonçant triomphalement que le parti machin ou le député Untel interpelle le gouvernement «pour défendre la sécurité de vos enfants!» (Et pour que vous sachiez qu'il défend la sécurité de vos enfants.) Les voix critiques seront au mieux ignorées, au pire insultées, et la Suisse va se doter dans la précipitation d'un état-major militaro-policier centralisé destiné à alerter la population, à occuper quelques fonctionnaires et à procurer une bonne conscience à tous ceux qui éviteront ainsi de s'attaquer aux causes du problème.
Nous continuerons donc d'assister à des agressions, à des enlèvements et à des crimes; mais, en plus, nous vivrons régulièrement des grands débordements d'émotion populaire et de sensiblerie collective, avec des messages retransmis partout, à la télévision, sur les autoroutes, sur nos téléphones, sur Facebook, avec des centaines de gens qui croiront avoir aperçu des victimes et qui dénonceront leurs voisins, et avec des journalistes qui se pourlécheront morbidement les babines à l'idée de pouvoir brasser toute cette agitation.
Toute la rogne méchante des journalistes se concentre donc désormais sur ce seul élément: le «plan d'alerte enlèvement que tous les autres pays connaissent et que les autorités suisses tardent insupportablement à mettre en place!» Quelques fielleux ajoutent que «c'est la faute du fédéralisme!»
En réalité, bien d'autres Etats n'ont pas voulu introduire un tel dispositif, qui déploie généralement ses effets trop tard et risque d'inquiéter inutilement la population pour des disparitions le plus souvent anodines. Les seuls exemples que l'on nous cite sont la France et les Etats-Unis. Or le dispositif français, tel qu'on nous l'explique, ne peut être déclenché qu'à certaines conditions très strictes: il faut que l'enlèvement soit avéré, que la victime soit mineure, que son intégrité physique ou sa vie soit en danger, que des éléments d'information permettent de localiser l'enfant ou le suspect et que les parents aient donné leur accord1.
Dans le cas de la jeune Lucie – qui, à ce que l'on nous dit, a suivi de plein gré son agresseur, lequel lui avait proposé de «faire des photos» –, ces conditions n'étaient sans doute pas remplies et ce fameux plan n'aurait été d'aucun secours. Les spécialistes affirment aussi que, lorsqu'un enlèvement est suivi d'un homicide, ce dernier survient presque toujours très rapidement, dans un délai d'une à trois heures, soit bien avant que l'alerte urbi et orbi ne déploie ses effets.
Mais peu importe le sort de Lucie: c'est tellement grisant de pouvoir ainsi morigéner les politiciens, les houspiller, les sommer d'agir vite même si cela ne sert à rien. «Comment pouvez-vous refuser de faire quelque chose d'inutile alors que la vie de nos enfants est en jeu?» Et les politiciens, toujours en quête d'une réélection, vont obtempérer servilement aux exigences des médias. Déjà les premiers communiqués fusent, annonçant triomphalement que le parti machin ou le député Untel interpelle le gouvernement «pour défendre la sécurité de vos enfants!» (Et pour que vous sachiez qu'il défend la sécurité de vos enfants.) Les voix critiques seront au mieux ignorées, au pire insultées, et la Suisse va se doter dans la précipitation d'un état-major militaro-policier centralisé destiné à alerter la population, à occuper quelques fonctionnaires et à procurer une bonne conscience à tous ceux qui éviteront ainsi de s'attaquer aux causes du problème.
Nous continuerons donc d'assister à des agressions, à des enlèvements et à des crimes; mais, en plus, nous vivrons régulièrement des grands débordements d'émotion populaire et de sensiblerie collective, avec des messages retransmis partout, à la télévision, sur les autoroutes, sur nos téléphones, sur Facebook, avec des centaines de gens qui croiront avoir aperçu des victimes et qui dénonceront leurs voisins, et avec des journalistes qui se pourlécheront morbidement les babines à l'idée de pouvoir brasser toute cette agitation.
NOTES:
1) Swissinfo.ch, 12 mars 2009.
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