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Point d’ironie pour les Résistants?

Robert Ménard, ex-patron de Reporters sans frontières, au cours d’une conférence sur l’actuelle «liberté de la presse», nous brosse une «liberté» encadrée par les gardiens de l’orthodoxie globale au point que l’on pourrait parodier la phrase de Saint-Just en «pas de liberté pour les amis de la liberté!» Il m’apprend au passage qu’au XIXe siècle déjà, inquiets du fléchissement des capacités d’entendement des lecteurs et préoccupés par la censure, les gazetiers s’étaient avisés d’introduire un signe typographique particulier pour leur signaler les éléments de texte à saisir à des degrés de compréhension supérieurs. Ce fut le point d’ironie, dont l’édition de 1931 du Larousse en deux volumes attribue la paternité à Alcanter de Brahm – sans hélas nous en dire plus sur celui-ci. La mention est illustrée d’un signe représentant une sorte d’hybride de point d’exclamation et d’interrogation retourné sur son axe vertical. Les Anglo-Saxons, quant à eux, pratiquent toujours le signal verbal “Joke! Joke!” («Je plaisante…») lorsque point l’inquiétude dans le regard de leur interlocuteur. Considérant le sectarisme de nos adversaires et la diminution constante du champ d’application de l’humour licite, la réintroduction de ce signe me paraît s’imposer d’urgence.

Réflexions en marge d’une tragique Saint-Valentin (dzoïng, dzoïng… pan-pan!)

 Pretoria: un champion paralympique sud-africain zigouille avec application sa compagne, un blond modèle batave de haut de gamme. En grattant un peu derrière les pages populaires, on découvre que le héros bionique de cette lamentable histoire, venu au monde sans jambes, subséquemment monté sur fibre de carbone, n’est en fait rien de plus qu’un banc d’essai technologique, dont le seul point commun avec bon nombre de bipèdes réels à surmobilité privilégiée – soyons fous, pour une fois, et parlons «politkor» –, jadis plus simplement connus sous la qualification de champions olympiques, est d’avoir également usé de substances interdites… En cette occasion, avec une perspicacité et un sens de l’humour involontaire  assez caractéristiques de sa caste, un rapporteur francophone sonorisé s’empressa de nous apprendre sur France Info qu’en garde à vue au poste le principal suspect était «atterré», oubliant dans son emballement et avec un sens des priorités bien compréhensible la véritable atterrée… évidemment perdue pour tout scoop sur les ondes. Depuis, le coureur sur lattes a regagné la maison du drame et attend de passer en jugement cependant que sa victime a dû déménager vers un lieu de repos éternel. Et moi, je me demande combien de temps la justice du pays mettra à reconstituer l’effondrement logique d’une construction artificielle.

Essayons: les clameurs se sont tues; nous sommes «côté vestiaires», dans une villa de luxe et il n’y a rien à la télé… Et donc la Belle, lassée des prestations sinusoïdales invariables et scientifiquement irréprochables de son demi-dieu-du-stade, lui fait part en des termes peu amènes de son envie de se trouver un ensemble plus complet si moins technologique. Alors la Chose, furieuse de voir s’envoler le dépliant central du magazine de rêves, le prend très mal et ne décrit qu’une parabole jusqu’au placard à artillerie. La suite… est connue. Quant à la conclusion pénale: la victoire ira au meilleur avocat. Tout le reste n’est que faits divers. Et notre monde de bobos continuera à vivre de spectacle et à courir sur la tête.

Vers un monde flou, flou, flou…

 C’est Iris qui m’a mis sur la voie: nous galopons vers un monde de logique floue et de pensée tordue. Et c’est de nos maîtres ès valeurs d’outre-Manche et de leurs cousins d'un peu plus à l’Ouest qu’est venu cet élan.

 Pour la pensée tordue, un exemple suffira: m’ayant surpris une énième fois à faire ce que je ne devrais pas, la Lumière de mes yeux s’étonne que je n’apprenne jamais. «C’est tellement bon», argumenté-je faiblement. «C’est très mauvais pour toi!», conclut-elle, imparable… car c’est exact. Le récidiviste confus lui suggère alors d’user de reversed psychology: quand on dit au petit vaurien de mettre la main dans le pot à confiture, c’est dès lors que, par odieux esprit de contradiction, il s’en abstiendra, et l’on aura emporté le morceau… Sa conclusion fuse: «Ces Anglais sont tordus!» Elle a raison. Notre approche continentale directe l’emporte en noblesse sur la voie détournée. Et c’est parce que nous l’oublions que nous devenons lâches chaque jour davantage. C’est aussi pourquoi la Française qui appelle un chat un chat l’emportera toujours chez moi sur l’Anglaise qui minaude.

Mais ce qui tuera plus sûrement encore notre civilisation européenne, c’est le flou dans lequel «ON» la pousse en douceur à s’enliser. Car le flou est partout, à commencer par la sémantique. Je suis, sur une radio communautaire de gens qui ont beaucoup souffert, les efforts d’une bonimenteuse qui dit longuement beaucoup de bien d’une «philologue-psychanalyste» athée – mais prodigue de conseils aux auditeurs en matière d’amour de Dieu –, dont on finit par se demander si elle ne serait pas aussi coiffeuse pour chiens. Et au terme de ce panégyrique, j’entends la socquette bleue demander à son objet de promotion si celle-ci est «satisfaite de ce palimpseste». Confusion bien excusable, après tout: les deux mots comptent onze lettres et commencent par «pa»… Et puis, l’auditeur attentif aura compris que la petite bavarde faisait surtout l’article. Flou dans l’exécution, ensuite, lorsque deux envois consécutifs d’une même lettre depuis un pays voisin (et alphabétisé) se perdent dans l’éther des acheminements postaux et que la charmante petite facteure (-teuse, -trice, -tresse – le flou, j’vous dis ) vous rétorque, impavide, un mois plus tard: «Y’a bien des lettres d’Allemagne qui mettent trois semaines!» Flou dans les responsabilités, en succession logique de ce qui précède, puisque ces dernières s’évaporent tout au long de la chaîne de transmission et que le lésé ne trouve plus de voies de recours. Flou dans les engagements lorsque votre interlocuteur commence sa réponse par «sauf erreur…» – ou vous indique une durée mais jamais une date. Flou dans les valeurs les plus essentielles lorsque la justice en vient à confondre affirmation et preuve et lorsque le législateur en vient à protéger cette confusion même par des lois sur mesure. Flou jusque dans le Sacré enfin, lorsqu’un prince de l’Eglise éprouve le besoin de garantir ses propos par «Honnêtement…». Et pendant ce temps-là, implacables et rigoureux, les semeurs de flou poussent leurs pions en toute tranquillité.

 “I could eat a horse!”[1]

Loin de représenter une intention, cette exclamation d’outre-Manche est la marque d’une faim extrême. Car aucun sujet de Sa Majesté ne saurait toucher à cet équidé, qui est à l’Angleterre ce que la vache est à l’Inde: sacré! Et pourtant, par le fait d’une succession de maillons pourris le long d’une chaîne de produits alimentaires, ils viennent de découvrir avec horreur et consternation qu’ils pratiquaient l’«équidophagie» comme Monsieur Jourdain la prose… depuis un certain temps! On regrette bien que ces adorateurs du profit à outrance soient à leur tour rattrapés par ses effets pervers  

Le ruban de Möbius…

…très à la mode depuis quelque temps dans les médias obèses, ne saurait représenter autre chose que le paradoxe d’un objet à surface unique et cependant circonscrite par le fait même qu’il est une simple bande. Mais sa tendance à adopter la forme d’un huit aplati est un bon début pour s’intéresser à l’infini.

Max l’Impertinent

 



 

NOTES:

[1] «Je pourrais manger un cheval.»

Thèmes associés: Ethique - Politique générale

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