Editorial

On y est, c’est reparti comme en 1992! Les milieux de l’économie d’exportation et le Conseil fédéral nous expliquent doctement que l’apocalypse nous menace si nous acceptons l’initiative «contre l’immigration de masse» soumise à notre appréciation lors des prochaines votations.

«En cas d’acceptation de l’initiative, il faudrait plutôt s’attendre à ce que l’ALCP1 ne puisse pas être maintenu. Or une dénonciation de cet accord aurait de graves conséquences pour l’économie suisse, qui gagne un franc sur deux dans l’UE. En effet, l’ALCP est l’un des sept accords sectoriels conclus simultanément entre la Suisse et l’UE (accords bilatéraux I), et sa dénonciation entraînerait l’extinction automatique de l’ensemble de ces accords, liés par la «clause guillotine», nous dit le message du Conseil fédéral2.

Dix ans après le refus de l’EEE un fameux dimanche noir, selon Jean-Pascal Delamuraz, des euromaniaques se lamentaient encore, dans Le Temps3, de cette formidable chance perdue. Les auteurs d’une étude parue chez Orell Füssli s’exprimaient ainsi: «Nous montrons en comparant plusieurs indicateurs que sa situation [celle de la Suisse] est plutôt sombre par rapport aux autres pays européens, aussi bien les membres de l'Union européenne que ceux de l'EEE.»

Aujourd’hui, vingt ans après la votation, plus personne n’oserait proférer de telles âneries et la méfiance à l’égard de l’Union européenne est largement répandue. La crise économique qui a frappé l’Europe n’est pas étrangère à ce sursaut de lucidité: la situation des pays de l’Union, Grèce, Espagne, Portugal, Italie et France, est plutôt sombre par rapport à celle de la Suisse.

En outre, l’Union devient obèse: depuis 1992, elle a gagné seize nouveaux membres, principalement des Etats d’Europe de l’Est qui lui ont fourni moins de muscle que de mauvaise graisse.

Chacun s’accorde à privilégier aujourd’hui la voie bilatérale, avec l’Union et/ou avec chacun de ses membres.

La modification constitutionnelle «contre l’immigration de masse» mettrait-elle en péril, si elle était acceptée, l’accord sur la libre circulation? C’est possible. La dénonciation de cet accord mettrait-elle en péril nos relations commerciales avec les membres de l’Union européenne? C’est en revanche assez peu probable, même si une charge administrative supplémentaire n’est pas à exclure.

Les milieux de l’économie sont très favorables à l’immigration de masse, parce qu’ils disposent, grâce à la libre circulation, d’un réservoir de main-d’œuvre considérable, ce qui est de nature, selon les lois du marché, à exercer une pression sur son coût, si ce n’est  directement à la baisse – on n’observe pas de sous-enchère salariale importante – du moins à l’absence de hausse si l’on ose s’exprimer ainsi.

Les milieux de l’économie sont d’autant plus favorables à l’immigration qu’ils n’en assument qu’indirectement et modestement les coûts d’infrastructure: routes, logements, écoles, hôpitaux, etc.

Le Conseil fédéral en est tout à coup conscient. C’est pourquoi il promet, la main sur le cœur: Le Conseil fédéral entend maintenir sa politique d’immigration actuelle et prendre les mesures nécessaires pour remédier à d’éventuelles répercussions négatives, en particulier concernant certains aspects de l’infrastructure. (…) Le Conseil fédéral n’ignore pas que la croissance économique et l’immigration relativement élevée enregistrées ces dernières années en Suisse ont entraîné une croissance démographique, ce qui place le pays face à de nouveaux défis en matière d’intégration, de logement, d’infrastructures, d’aménagement du territoire et de formation. Cette forte immigration renforce la nécessité de procéder à des réformes dans les domaines cités. Le Conseil fédéral s’engage à s’atteler aux réformes nécessaires.

Le Conseil fédéral serait plus crédible s’il pouvait nous prouver qu’il s’est attelé aux réformes nécessaires depuis la signature de l’ALCP et qu’il nous montre lesquelles ont déjà produit des résultats. Les belles promesses rendent les fous joyeux, dit le proverbe.

La maîtrise de l’immigration n’est pas dictée par un réflexe xénophobe mais par un sage souci d’équilibre des budgets publics.

La nomenklatura de Bruxelles fera les gros yeux mais qu’importe! Si nous vendons moins en France, nous vendrons plus en Chine. La renégociation des accords ne signifie pas, en outre, la mort du commerce international avec les membres de l’Union.

Voter «oui» à cette initiative, c’est marquer notre volonté de souveraineté. C’est aussi une manière de répéter à Economie suisse que ce n’est pas elle qui peut imposer ses préférences au peuple, quels que soient ses mérites par ailleurs.

Claude Paschoud

 

NOTES:

[1] Accord sur la libre circulation des personnes
[2] FF 2013 279
[3] 28.11.2002

Thèmes associés: Economie - Politique fédérale

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