Comme un vol de charognards au-dessus de l’océan

Un avion long courrier qui s’abîme au milieu de l’océan avec plus de deux cents personnes, voilà une bien triste tragédie. Faut-il vraiment y ajouter la frénésie morbide, le voyeurisme indécent, la sensiblerie dégoulinante et l’ignorance pontifiante que les médias nous infligent à chaque fois qu’une telle catastrophe se produit?

Durant les premières heures qui suivent l’annonce de l’accident, les journaux télévisés consacrent un temps interminable à évoquer la catastrophe, beaucoup plus qu’il n’en faut pour nous livrer le peu d'informations disponibles à ce moment. De nombreuses questions intéressantes ne sont pas abordées, on se contente de répéter cent fois les mêmes phrases afin de faire durer le sujet et de créer ainsi une ambiance de crise. Les breaking news intercalées ne nous apprennent que rarement quelque chose de nouveau et contribuent seulement au rythme trépidant de la soirée.

Dès les premières minutes, des reporters se ruent dans les couloirs de l’aéroport de destination afin d’y questionner des voyageurs qui ignorent encore ce qui s'est passé, qui ne pourront donc donner aucune réponse intéressante mais qui vont certainement s’alarmer de la nouvelle répandue par les journalistes. Peut-être même parviendra-t-on à déclencher – et à filmer surtout – un petit mouvement de panique devant le check-in? Une fois que les familles touchées auront été repérées, on pourra alors tourner les habituels gros plans sur des visages en larmes afin de maximiser l’émotion des téléspectateurs.

Pendant ce temps, les journalistes commencent leur travail de procureur. La compagnie ne veut pas faire de déclaration. Les autorités se refusent à tout commentaire. Les passagers des autres vols n’ont pas été informés. Les proches des victimes sont laissés sans nouvelles. On ignore encore les causes de l'accident mais il est possible que… Des témoins affirment avoir vu… On croit savoir… Sur les chaînes françaises, on s’empresse toutefois de souligner les qualités de l’industrie aéronautique française et la rareté des accidents de la compagnie Air France. Cela rend la catastrophe d’autant plus mystérieuse. Confortablement installées dans leur studio, des présentatrices pomponnées prennent des airs sévères pour apostropher les experts: «Nous sommes en 2009, au XXIe siècle, comment se fait-il qu’on ait pas encore retrouvé la trace de cet avion? A quoi servent donc les balises?» Et de conclure gravement: «Ce soir, les questions sont nombreuses mais les réponses manquent cruellement.»

Les jours suivants, divers hauts dirigeants seront soumis à des interrogatoires quant à leur responsabilité. On demandera par trois fois au directeur général de la compagnie s’il ne cache rien. Personne ne s’attend véritablement à ce qu’il réponde: «Oui, je cache quelque chose.» Mais tout le monde continuera de le soupçonner. Le peuple réclame un coupable à pendre; un directeur peut parfaitement faire l’affaire. En parallèle et plus discrètement, la presse vertueuse s’indignera de ce que «des individus peu scrupuleux» auront réservé des noms de domaines internet évoquant la tragédie, uniquement «pour faire du profit». C’est très vilain de vouloir tirer profit du malheur des autres.

Pendant deux ou trois jours, l’événement, les recherches, l’enquête feront encore la une. Puis le sujet sera relégué en deuxième, puis en troisième place, avec une durée de plus en plus courte. Au bout de deux semaines, on n'en parlera plus; jusqu’à la prochaine catastrophe. Espérons qu’il y en aura le moins possible, car cette délectation médiatique est décidément horripilante.

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